Nous parlons beaucoup, depuis plusieurs années déjà, de convergence, au sein des différents groupes de lutte auxquels j’appartiens. Par exemple, avec le Groupe de recherche et de réflexion sur l’éducation, nous avons initié un mouvement de rassemblement d’associations et de collectifs en vue de défendre les droits des enfants, notamment leur droit à l’instruction, si mal interprété par les instances censées le garantir. Avec l’Observatoire de la violence éducative ordinaire, nous sommes de plus en plus en lien avec d’autres groupes de défense des intérêts des enfants. Nos luttes ne sont pas les seules luttes enfantistes en cours.
Il y a aussi le Collectif enfantiste qui a coordonné la mobilisation du 16 novembre contre les violences faites aux enfants, bénéficiant d’une belle couverture médiatique.
Le 15 novembre, Dynamique pour les droits des enfants, une coalition d’associations a été entendue au Sénat pour dresser le bilan de 35 ans de mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).
L’UNICEF communique depuis plusieurs semaines sur le 35e anniversaire de la CIDE.
Il ne s’agit pas de faire une liste exhaustive mais de relever quelques actions saillantes intervenues récemment. Force est de constater que de plus en plus d’associations se créent et se mobilisent en faveur des enfants.
Malheureusement, comme le note une camarade de lutte pour le droit à l’instruction hors école [2], ces diverses dynamiques ne se rejoignent pas. Pourquoi ? Qu’avons-nous manqué ? Qu’est-ce qui nous empêche ?
J’ai une réponse assez courte et simple à ces questions.
Ce qui manque à tous ces mouvements pour converger, c’est :
- La reconnaissance pleine et entière de la domination adulte comme phénomène idéologique et matériel systémique.
- La reconnaissance de la violence inhérente au projet éducatif et à sa mise en œuvre, quel que soit son « style » ou son « mode », traditionnel-autoritaire ou moderne-positif.
- La prise en compte radicale du consentement de l’enfant.
Ce dernier point est le plus important de tous car beaucoup d’associations affirmant lutter contre la domination adulte et la violence éducative ordinaire ne prennent pas vraiment en compte de façon radicale le consentement de l’enfant et ne comprennent pas sa dimension de radicale subversion, alors même que médias et politiques n’ont aujourd’hui plus que le mot « consentement » à la bouche ou sous la plume.
Qu’est-ce que prendre en compte le consentement de l’enfant de façon radicale ?
C’est accepter radicalement son « non » ; de ne pas faire de bisou, de ne pas finir son assiette, de ne pas goûter un plat, de ne pas se coucher, de ne pas se réveiller, de ne pas répondre à un adulte qui lui parle, de ne pas aller à l’école, etc. C’est respecter également radicalement ses « oui » et ne pas l’entraver dans son épanouissement autonome et ses projets, tout aussi « sérieux » que ceux des adultes.
Si on n’est pas prêt à cela, on ne peut pas dire qu’on lutte pour les droits des enfants ou contre les violences qui leur sont faites. Conserver quelques prérogatives de contrainte au prétexte de leur « bien » est antinomique d’une volonté de les protéger et de leur éviter les violences ; ce n’est pas remettre en cause radicalement la domination adulte [1]. Or une telle remise en cause, la seule radicalement subversive, est la condition sine qua non d’un véritable renversement des valeurs. Nous n’y parviendrons pas autrement.
Mais nous allons devoir contourner quelques obstacles. Nous allons devoir faire preuve de beaucoup d’imagination et de créativité désormais pour imaginer un monde dans lequel il est possible de respecter radicalement les enfants et leurs « non ». Nous allons devoir refuser des conditions matérielles d’existence aliénantes pour les besoins élémentaires de chacun.e.
Mais surtout, nous allons devoir cesser de vouloir les émanciper « à leur place » et les laisser enfin s’émanciper elleux-mêmes, i.e. rétablir leur agentivité, déconstruire leur vulnérabilité. Nous allons devoir cesser de vouloir les « éduquer à » (le consentement, l’esprit critique…) – car éduquer à une « liberté » est un non-sens, un oxymore – et les laisser enfin consentir, exercer leur esprit critique d’elleux-mêmes – car on n’apprend qu’en faisant.
Sans cela, tous nos vœux d’émancipation pour elleux seront vains et nos actions ne feront qu’échouer.
Et ça tombe bien, laisser les enfants s’émanciper, c’est la condition sine qua non pour nous émanciper nous-mêmes d’un monde ultra-violent et insupportable. Parce qu’en finir avec l’oppression des enfants, c’est en finir avec notre propre oppression.
Daliborka Milovanovic
[1] Comme l’exprime si bien mon amie Stéphanie Hecklen, qui n’est pas avare en formules géniales, « on lit la CIDE avec des lunettes adultistes ».
[2] Christelle Cagnon-Pellegrin du Nonscollectif.
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