On enverra nos enfants à l’école quand les vôtres iront en chantant*.
Peut-être…
S’ils le veulent bien. S’ils y trouvent de l’intérêt. Si leur choix est réversible.
Vos enfants ne chantent pas dans vos écoles. Ils pleurent.
Les entendez-vous pleurer ? Entendez-vous les sanglots de leurs cœurs ?
Le pouvez-vous-même ? Non, vous ne le pouvez pas.
Vos propres cœurs sont éteints d’avoir trop pleuré.
Ils ont pleuré l’arrachement à l’intime.
Ils ont pleuré la trahison et le mensonge des grands.
Ils ont pleuré le temps perdu, le temps volé.
Ils ont pleuré les songes interrompus.
Ils ont pleuré les pieds liés à la chaise et les mains au crayon.
Ils ont pleuré l’écran des murs sur les yeux avides de lointain.
Ils ont pleuré la distance et le silence.
Ils ont pleuré, pleuré,
Jusqu’à ce que vos yeux se dessèchent,
Que vos peaux se tannent.
Vos enfants pleurent à leur tour, et vous dites que c’est bon pour eux.
Et vous dites que c’est bon pour nos enfants.
Mais nous, nous entendons vos enfants.
Ce ne sont pas des rires, ce ne sont pas des chants.
Nous sommes tristes pour elles, pour eux.
Nos enfants sont tristes avec nous.
Nous les regardons courir derrière leurs barreaux.
Leurs hurlements déchirent nos cœurs.
Vous nous dites que c’est ça, être enfant.
Nous savons que vous mentez comme des arracheurs de dent.
Ces enclos ne sont des lieux pour aucun vivant.
Nous avons l’immensité du ciel omniprésent,
L’éternité de l’instant où la nuit n’est que la continuation du jour.
Nous avons les jeux, les tourbillons de feuilles, la gadoue et les bouts de bois.
Nous avons les heures et les jours pour chanter.
Et nous chantons.
Vous dites à nos enfants, venez chanter dans nos écoles.
Non, merci, ça ira comme ça.
Alors, vous venez les chercher. Vous nous les arrachez de force.
Vous ne les entendez pas crier. Comment le pourriez-vous ?
Vous confondez le jour et la nuit, le soleil et la pluie, le oui et le non.
Vous dites A quand c’est non A. Seriez-vous fous ?
Pourquoi voulez-vous nos enfants, tous les enfants ?
Les enfants ne sont pas bêtes, et elles comptent sur nous.
Alors, à l’école, on enverra nos enfants, quand les vôtres iront en chantant.
Peut-être. Si elles le veulent bien. Si elles peuvent sortir à tout moment.
Daliborka Milovanovic
*J’ai lu cette belle phrase sous la plume du poète tzigane Alexandre Romanès.
0 commentaire