Vous ne trouverez pas dans cet article des astuces pour vous faire obéir avec bienveillance, ni des propositions de limites, acceptables, non-violentes ou respectueuses, à donner à son enfant qui seraient les horizons au-delà desquels l’obéissance stricte peut être légitimement exigée. Ces limites sont personnelles et c’est à chacun individuellement d’en prendre conscience. En revanche, on peut essayer de comprendre que certaines de ces limites sont arbitraires et infondées du point de vue de l’enfant et que l’on prend souvent prétexte de son devoir de protection envers celui-ci ou de son autorité parentale pour lui imposer les limites du monde des grandes personnes, qui n’est pas le sien, sans remise en question de son propre assujettissement d’adulte à ces limites. Avec en même temps l’espoir fou d’élever des individus libres et heureux, on éduque pourtant ses enfants à l’obéissance, perpétuant une condition de soumission aux racines très lointaines dans le passé de l’humanité.
Quel parent ne s’est-il pas lamenté de ce que son enfant « refuse d’obéir », sous-entendant par-là que c’est un désobéissant chronique, en perpétuelle opposition ? L’obéissance est en général considérée par les parents et les éducateurs comme une qualité particulièrement désirable de l’enfant, voire comme une vertu. Les enfants obéissants sont également qualifiés de doux, sages, faciles, disciplinés. Ce sont, en somme, des enfants qui ne posent pas de problèmes aux adultes, c’est-à-dire qui ne s’y opposent pas et qui vont exactement dans leur sens. Quand elle n’est pas considérée comme une qualité intrinsèque de l’enfant, elle est envisagée comme un état à obtenir par différentes sortes de moyens ; force physique, chantage, manipulation affective, persuasion, raisonnement, etc. Bien sûr, un enfant « naturellement » obéissant (est-ce vraiment « naturel » ?) est toujours préférable à un enfant rendu obéissant par une méthode ou une autre car cela demande moins d’effort.
Mais l’obéissance est-elle vraiment une qualité ou un état que désirent ou recherchent les parents ? Car en effet, l’obéissance n’est pas une notion très positive. Les synonymes qu’en donnent les dictionnaires ne dénotent pas des qualités très attrayantes : soumission, subordination, docilité, assujettissement, sujétion. Quand on imagine l’adulte qu’il sera, on souhaite rarement que son enfant soit soumis et dominé. On voudrait au contraire qu’il « ne se laisse pas marcher sur les pieds », qu’il organise librement sa vie, qu’il ait du caractère, de la personnalité, etc. Mais peut-être direz-vous que l’obéissance n’exclut pas d’être libre, d’avoir du caractère, de ne pas se laisser faire. Rien n’est moins sûr comme nous allons le voir.
L’affinité du désobéissant et du dominant
À l’inverse de l’obéissance, nous avons l’indiscipline, l’insubordination, l’insoumission, la rébellion, la résistance, la révolte, la contravention, l’infraction, la transgression, la violation, l’opposition, la mutinerie. Là encore, rien de très réjouissant, étant donné la valeur fortement négative de ces caractérisations. L’obéissance, tout comme la désobéissance, semblent considérées comme des comportements indésirables.
De façon assez paradoxale, les dictionnaires donnent également comme contraires du fait d’obéir (donc en même temps que le fait de désobéir !), le fait de commander, de conduire, de diriger, de dresser, de gouverner, de dicter, d’ordonner. Ainsi, celui qui n’obéit pas est soit celui qui s’oppose (à celui qui commande), soit celui qui commande (à celui qui doit obéir), à moins qu’en fait, s’opposer et commander ne soient la même chose. Car en effet, celui qui commande s’oppose lui aussi à celui à qui il veut imposer sa volonté ; il s’oppose à ses désirs, à ses besoins, à sa liberté. En quelque sorte, lui aussi désobéit à la volonté qui lui fait face. Mais pourquoi ne le qualifie-t-on pas de désobéissant ? C’est là qu’intervient la notion d’autorité, qui est une domination légitime. Celui qui détient une autorité est légitime à exiger l’obéissance de la part de celui qui en est dépourvu. Typiquement, les parents détiennent ce qu’on appelle l’autorité parentale. Tout ceci nous permet dès lors d’accéder à une nouvelle compréhension de la notion d’obéissance qui n’est en fait pas une qualité intrinsèque d’un individu mais plutôt un des deux états d’une relation asymétrique entre deux individus, à savoir une relation de domination dont les deux états sont celui de dominant et celui de dominé.
L’autorité parentale n’est pas seulement une notion juridique définie par le code civil qui constitue un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant et que les parents ont à l’égard de leurs enfants mineurs. Elle n’est pas simplement un pouvoir et une capacité juridiques ; elle est, de fait, un pouvoir et une force réels qui s’exercent sur l’enfant, pouvoir et force que le droit ne fait qu’entériner. Il ne faut pas oublier que la notion d’autorité parentale remplace, en 1970, celle de « puissance paternelle » et que, même si elle implique qu’aujourd’hui, les mères, délivrées de la « puissance maritale », autorité juridique du mari sur sa femme, partagent avec les pères l’autorité sur leurs enfants, elle abandonne ces derniers à leur statut de personnes assujetties en droit et de fait, ce qui correspond juridiquement au statut de « mineur [1] ».
Le droit de désobéir ; liberté d’être soi
Ainsi l’on peut dire que la désobéissance est une notion culturellement construite qui ne désigne jamais une qualité intrinsèque d’un individu mais plutôt une façon de percevoir le comportement de cet individu relativement à ce qui est attendu de son statut. Les désobéissants n’existent que parce qu’il existe des dominants qui dictent aux dominés, censés obéir, leur conduite. Du point de vue du dominant, la désobéissance est un défaut. Du point de vue du dominé, la désobéissance est l’expression d’une liberté, celle d’être soi-même. Tout ceci explique la complexité de cette notion et l’attitude partagée que les parents ont à son égard.
En effet, « dans l’idéal », tous les parents veulent que leurs enfants deviennent des adultes libres. Mais au quotidien, devoir gérer une ou plusieurs volontés contraires à ce qu’on a décidé pour elles se révèle épuisant. Dans la « vraie vie », l’on voudrait que son enfant accepte de goûter sans rechigner à tous les aliments, de quitter sans protester un lieu où il s’amusait au moment où on l’a décidé, de se coucher quand « c’est l’heure » (l’heure pour qui ?), d’arrêter de taper sur le xylophone pendant qu’on regarde un film, d’attendre qu’on ait fini sa conversation téléphonique avant de répondre à sa demande, de ne pas toucher aux DVD de papa, de s’habiller, de rester assis sur une chaise pendant plusieurs heures à l’école, de faire ses devoirs… Mais dans la « vraie vie », un enfant a des préférences et des aversions gustatives, il aimerait rester en un lieu aussi longtemps qu’il s’y amuse, se coucher quand il a sommeil, entendre encore et encore les sons étonnants que produit le xylophone, rester en pyjama, se lever de sa chaise, flâner après l’école… Pourquoi aurait-il moins le droit d’obtenir ce qu’il veut que l’adulte ?
La liberté, et la confiance en soi qui la fonde, ne sont pas de vagues idées à incarner dans un avenir lointain. Elles se construisent et se vivent dès maintenant. On ne peut pas à la fois souhaiter l’obéissance de l’enfant et la liberté de l’adulte comme s’il n’y avait aucune continuité de l’un à l’autre. L’acceptation d’une autorité qui s’exerce avec force est un conditionnement qui se poursuit au-delà de l’enfance. Les enfants soumis deviennent des employés dociles, des citoyens complaisants et figés qui acceptent l’injustice comme une fatalité, des individus incapables d’autonomie.
Peut-être objecterez-vous le fait que « les choses ne sont pas aussi simples », que les adultes que vous êtes ne sont eux-mêmes pas libres de faire ce qu’ils veulent, qu’ils ont des obligations, des devoirs, des contraintes horaires, matérielles, financières, professionnelles, familiales, culturelles, et qu’ils organisent leur quotidien en fonction de ces diverses contraintes, qu’eux-mêmes obéissent à des choses qui les dépassent, des lois, des codes, des valeurs ; et donc, qu’ils ne sont pas libres de laisser leur enfant faire ce qu’il veut.
Mais peut-être est-ce là que se situe le problème ; les parents ont été des enfants, eux aussi obéissants, qui ont correctement intégré le fait que « les choses sont comme ça et on n’y peut rien ». Ainsi, peut-être le premier acte en faveur de la liberté de nos enfants que nous puissions poser est-il celui de désobéir à celles des injonctions de la société qui nous déplaisent, quitte à faire de la désobéissance civile [2].
1 Voir La Domination adulte. L’oppression des mineurs, Yves Bonnardel, Éditions Myriadis (2015).
2 Refus assumé et public de se soumettre à une loi, un règlement, une organisation ou un pouvoir jugé inique par ceux qui le contestent, tout en faisant de ce refus une arme de combat pacifique. Source : Wikipédia.
2 commentaires
Nastia · 15 mai 2018 à 17 h 01 min
Merci d’écrire si bien.
Daliborka Milovanovic : « Une éducation ne doit surtout pas se vouloir efficace » – Le Partage · 20 mars 2020 à 12 h 31 min
[…] n’est pas quelque chose de souhaitable pour les enfants parce qu’il n’est pas souhaitable que les gens soient soumis et obéissants et que la soumission et l’obéissance, ça s’enseigne […]