Naître et mourir chez soi
De la volonté (et de la difficulté) d’accoucher à domicile en France en 2018, d’autant plus lorsque bébé est atteint d’une pathologie « létale » [1]
Comment renoncer à la douceur de mon foyer, à la chaleur sécurisante de mon lit, à mes proches, et ce pour un lieu froid, une boîte géante où tout m’assaille : la force de la lumière, les odeurs puantes de produits désinfectants, les médicaments, les bruits inconnus, les portes qui s’ouvrent et se ferment, les allées et venues, les regards baissés, les papiers remplis, l’ignorance ou au contraire les scrutations ? Comment pourrais-je préférer la souffrance engendrée par l’inconfort d’un voyage en voiture pour m’y rendre, ses secousses et les éventuels bouchons ? Comment ne pas plutôt souhaiter sentir la douceur et les bienfaits de l’eau chaude coulant sur mon corps pendant le travail ?
Comment supporter l’idée même que je puisse ne pas être maîtresse ni des lieux, ni de mon accouchement, ni de mon corps ? Comment supporter ces personnes inconnues qui rentrent en salle devant mon corps nu, sans demander l’autorisation ni même se présenter ? Comment supporter d’être surveillée à leur manière ? Parce qu’ils ont besoin de savoir alors que moi je sens simplement ? Une prise de tension, un toucher vaginal, puis un autre, et encore un autre… comme si quelqu’un venait vérifier la dureté du sexe d’un homme aimant sa partenaire engendrant ainsi un nouveau petit être à venir ! Comment tolérer qu’on me scrute, qu’on me tourne autour, qu’on me touche sans me prévenir, sans me demander mon accord ? Comment concevoir de consentir, par ma présence même, à ce qu’on vienne perturber le déroulement physiologique de mon accouchement ? Et pourquoi ne pourrais-je pas crier, hurler, vociférer si cela me fait du bien ? Ou alors rester dans ma bulle en silence sans en être tirée dehors pour les besoins de sécurité et de réassurance du personnel médical ? Regardons-les déambuler avec leur blouse de manière automatique et habituelle. Ils et elles ne semblent-ils pas souvent blasé.e.s ? Nous ne sommes la plupart du temps plus que des numéros et des dossiers à traiter en prenant le moins de risques possible. Pire (ou moins pire), pour ce qui me concerne, je suis un cas. « Mon/notre » petit bébé est un phénomène de la nature au vu des nombreuses et gigantesques malformations liées à sa trisomie 13. Il est ce monstre (cette petite personne, pardon…) qui, dans on ne sait quel élan de force a, contre toute attente et malgré les probabilités, survécu jusque-là, depuis huit mois déjà en mon sein (non dans mon ventre, pardon encore). Peut-être aurais-je droit à un peu plus de considération que toutes ces femmes qui ne sont que des numéros sans être des cas. Peut-être par ma force vais-je éviter un tas de violences obstétricales ordinaires. Mais se battre contre cela, les anticiper, n’est-ce pas déjà une violence en soi ? Je n’ai pas le temps de lutter, pas le temps de me battre. Je veux vivre pleinement cet accouchement, cette naissance, cette mort sans avoir besoin de lutter contre ce système, ces protocoles, leurs peurs. N’ai-je pas déjà bien assez à faire avec les miennes pour devoir endosser les leurs ? Bien sûr que je vais en pâtir et que je risque de me retrouver plus bas que terre les jours, semaines ou mois à venir, mais le risque n’est pas lié au fait de vivre cela à la maison, mais de le vivre tout court. Ce risque est bien plus accru à l’hôpital qu’à la maison, car s’y ajoute la violence de l’institution voire le risque de maltraitance individuelle que beaucoup nient, mais que beaucoup d’autres dénoncent déjà dans des contextes de naissances « classiques ».
Je veux être chez moi, entourée des personnes choisies, respectueuses, qui connaissent mon projet, des personnes qui ont accepté de donner de leur temps pour me permettre de vivre ce terrible événement au plus doux, au plus chaud, au plus tendre, au plus humain. Ces personnes qui ont affronté, qui affrontent ou qui affronteront leurs peurs et qui l’acceptent parce qu’elles savent à quel point c’est important, à quel point la manière dont je vais vivre ce moment et dont ce petit bébé va vivre et mourir impliqueront nos vies futures, ainsi que les leurs bien sûr. Mais de quelles forces serons-nous alors emplis ? Qui sait combien cette expérience nous apportera également de joie et de gaieté en ce que ces instants auront été intenses, doux et beaux ?
Et puis de toute manière, comment accepter cet hôpital ? Comment supporter ce qui m’est insupportable ? Mon frère y est mort-né à terme. J’y étais moi-même gravement malade à la naissance, enfermée dans une boîte, séparée et emmenée loin de ma mère, de mes parents. Je ne supporte rien de ce lieu depuis petite. Je me souviens encore de ces six personnes me tenant pour tenter de me faire une prise de sang inutile juste parce qu’une dent arrachée malencontreusement avec un cordon de blouson m’avait fait vaciller et perdre connaissance.
Je me souviens encore de ces savants bien pensants il y a quelques mois, alors que j’emmenais mon fils aux urgences. Ils étaient jugeants, irrespectueux du consentement, menteurs et, ayant tout pouvoir, me menaçaient de lancer un signalement si je n’obéissais pas. Ils hurlaient parce que je leur demandais des explications. Ils avaient bien autre chose à faire que m’en donner, qui étais-je moi l’incompétente pour juger chercher à comprendre) des soins à apporter à « mon » enfant ? De toute leur hauteur de professionnels désabusés, ils abusaient du pouvoir qui leur était conféré. Je ne suis pas la seule à en témoigner, il suffit d’arpenter la toile pour lire certaines horreurs subies dans cette institution. Je suis une personne. Mon fils, grandissant dans mon ventre, est une personne, et ce, bien qu’il ne soit pas encore considéré comme étant de ce monde. Je veux pouvoir bénéficier des compétences des soignants en toute confiance, dans le respect de mes choix et non parce que j’y suis contrainte, simplement parce que ces gens sauraient, eux… mais que savent-ils au fond ? Sont-ils seulement capables de relativiser leur pratique au regard de ce qui se fait dans le monde ?! Savent-ils seulement prendre du recul et se remettre en question ? Certains le peuvent et le font bien sûr. Certains ont gardé leur humilité et se mettent au service des patients quand la majorité a malheureusement oublié quel était son rôle et ne comprend plus ce que « choix du patient » et « consentement » signifient, et ce, la plupart du temps sans même en avoir conscience. Voici des raisons pour lesquelles je souhaite choisir les personnes qui m’entoureront.
Que risque mon bébé ? S’il vous plaît ? Que risque-t-il ? Il risque de souffrir et cela m’est impossible à penser, raison pour laquelle je souhaite qu’il puisse recevoir les soins de confort et les antidouleurs adaptés dès sa naissance. Il ne risque pas de mourir, il va mourir. Son plus grand risque est celui de vivre, de vivre ces courts instants pleinement, sereinement. Risquer de vivre… une des plus grandes peurs dont nous faisons preuve : peur d’être traumatisé, peur d’être ému, peur de ne plus pouvoir vivre sans, sans ce souvenir pénétrant, celui qui brûle dans la gorge et qui fait monter et couler nos larmes. Je préfère de loin vivre cette douleur intense et cette tristesse, mais cette joie aussi, plutôt que de les empêcher par la rage et l’immense colère que je pourrais avoir contre cet hôpital qui, qui plus est, m’a déjà volé mon premier accouchement et qui a fortement impliqué la vie de mes deux premiers garçons. L’hôpital n’a de raison d’être selon moi que pour permettre de sauver des vies quand quelque chose ne va pas, quand quelque chose déraille, mais en aucun cas n’a-t-il le droit de s’imposer et/ou encore moins de lui-même provoquer les déraillements qu’il prétend ensuite régler.
Comment pourrais-je accoucher emplie d’adrénaline déclencher par cet hôpital qui représente pour moi tout ce que j’ai décrit plus haut ? Qui ne sait pas aujourd’hui que le stress empêche le bon déroulement de l’accouchement ? Bien au contraire, et encore plus aux vues du contexte, j’aurai besoin de me sentir en sécurité, en confiance, entourée de douceur, dans les bras qui me rassurent et non sous le regard, éventuellement froid, d’inconnus curieux ou d’étudiants intéressés.
Comment accoucher dans une salle de soi-disant naissance autrement que les quatre fers en l’air ? Où m’appuyer ? Où me suspendre ? Où me baigner ? Dans quelle direction marcher ? Devrais-je grimper sur ce lit si je souhaite m’allonger ? Où m’agenouiller ? Où m’adosser ? Pourrais-je seulement m’installer au sol ? Bien sûr que non. Croyez-vous vraiment que mes pieds iront se glisser docilement dans les étriers pour leur faciliter la vue de mon sexe et l’arrivée de bébé ? Cette position est insupportable pour moi sans même accoucher. Je ne l’apprécie même pas lorsque je fais l’amour, mes jambes et mon bassin ne s’écartent pas de cette manière-là ! Comment alors pourrions-nous nous entendre ?
C’est moi qui accouche. C’est à eux de se plier s’ils l’acceptent, pas à moi. Mais s’ils ne l’acceptent pas, je les prie de bien vouloir passer leur chemin et de ne pas m’y obliger comme je ne les y oblige pas.
Je ne peux me résoudre à l’idée d’accoucher chez eux, dans ce monde qui ne me sied pas, dans ce monde qui tourne dans un sens et un ordre que je ne comprends pas, dans cette institution qui fait la part belle au pouvoir, à la domination, au patriarcat à en oublier la vie, même en maternité : quel comble !
Je veux vivre ! Je veux juste vivre et tout embrasser. Alors oui, cela paraît plus compliqué, mais le jeu en vaut la chandelle selon moi, car pour commencer, tous les accouchements, toutes les naissances, et toutes les morts méritent toute notre attention et notre empathie. Dans le contexte qui est le mien, peu m’importe qu’accoucher à domicile d’un bébé porteur d’une trisomie létale soit facile à organiser ou non si cela me/nous rend cette expérience à vivre plus « facile » parce que plus douce et plus pleine. Aucune des difficultés qu’on m’a énoncées ne m’a paru réellement insurmontable et aucun argument n’a été assez fort pour me faire changer d’avis pour le moment.
Je partage le cheminement et les idées de Katja Baumgarten qui a pu vivre la naissance et la mort de son tout-petit chez elle avec sa famille, ses proches et l’équipe médicale qui la soutenait. Elle raconte tout cela dans un magnifique film documentaire autobiographique Mein kleines Kind dont je suggère le visionnage à toutes les personnes intéressées par le sujet : www.meinkleineskind.de
Ce fut possible en Allemagne dans le début des années 2000 alors pourquoi pas en France en 2018 ?
Mélissa Plavis
Contact :
[Si vous êtes un professionnel de santé et que vous êtes en mesure de m’aider à mettre ce projet en place, ne vous en privez surtout pas ! Je cherche un médecin prescripteur pour les antalgiques (voire anxiolytiques) qui seront/seraient administrés à « mon » bébé par une infirmière libérale qui a accepté d’être présent le jour J. Je cherche également une sage-femme (ou un médecin) pouvant/acceptant de m’accompagner pour cette naissance si spéciale dont la date prévue est le 15 novembre 2018, en Île-de-France dans les Yvelines.]
[1] Bébé porteur d’une trisomie 13 dans le cas présent.
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