Quand on parle de responsabilités pendant un accouchement, de quoi parle-t-on ?


Pour les soignants : responsabilité légale, déontologique, éthique (un problème risque
d’entraîner une sanction légale , respecter les codes de son métier, ses consoeurs, ne pas
prendre de décision qui pourrait être nuisible.
Mais du coup on arrive à des situations dans lesquelles les différentes responsabilités
entrent en conflit : une sage-femme libérale en désert médical dont la cliente dit « je ne
mettrai pas les pieds à l’hôpital je préfère encore accoucher seule ». Le jour où cette femme
accouche, elle appelle sa sage-femme. Que faire ? La laisser seule ? Si elle l’appelle en post
partum, la sage-femme la laisse en sachant qu’elle n’ira pas à l’hôpital ? La responsabilité de
la sage-femme envers la mère entre en conflit avec la légalité, sa responsabilité éthique
s’oppose à sa responsabilité légale (elle devrait lui dire d’aller à l’hôpital, appeler les
pompiers…) et elle risque de recevoir une lettre de l’ordre des sage-femme.


Pour les familles : responsabilité morale envers leur enfant et leur propre santé (et si bébé
ou moi a un problème ?)
Mais qui se pose la question de la responsabilité envers la femme qui accouche, en
tant que personne ?


L’OMS définit la santé ainsi : “La santé est un état de complet bien-être physique, mental
et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.
” Et elle
ajoute : “La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un
des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soit sa race, sa religion, ses
opinions politiques, sa condition économique ou sociale.

Une femme vivante et en syndrome de stress post-traumatique n’est pas en bonne santé.
Nous avons la responsabilité de respecter les femmes, de leur permettre d’accoucher
comme elles le souhaitent, de prendre connaissance de leur puissance.


Nous avons la responsabilité de ne pas les empêcher de toucher à la liberté qui leur permet
de déployer leur sentiment de puissance. Parce que voler cette liberté et cette
puissance, c’est nuire à leur santé (mentale et même parfois physique), c’est également
nuire à leur statut de personne humaine – à leur dignité -, et à leur citoyenneté – à leur statut
de sujet de droit, de personnalité juridique ayant des libertés et le droit à disposer de son
corps. D’ailleurs le droit à disposer de son corps est le premier, le plus fondamental de tous
les droits, mais le moins évident lorsqu’ il s’agit de femmes.
Et intervenir quand ce n’est pas
nécessaire nuit à la confiance en soi et à ce qu’on décrit comme “l’instinct maternel”.
Nous avons non seulement la responsabilité de permettre aux femmes de faire usage
de leur liberté, mais nous avons le devoir de respecter le droit des femmes à une
santé qui soit la meilleure possible, en prenant en compte leur santé mentale. Nous
avons le devoir de respecter le DROIT DES FEMMES À DISPOSER D’ELLES-MÊMES.


On a le droit d’accoucher chez soi, on a le droit d’accoucher comme on veut d’ailleurs.
Mais tout est fait comme si c’était illégal
. Les sage-femmes sont pourchassées, les
femmes doivent mentir, cacher, et ont peur d’être dénoncées. Quand on décide d’accoucher
chez soi, on se lance dans un parcours du combattant où l’on passe 9 mois à croiser les
doigts pour que sa grossesse remplisse le cahier des charges très strict de l’AAD, et pour
que l’on passe entre les mailles du filet des dénonciations. Et quand on est une sage-femme
qui accompagne les accouchements à domicile, on passe sa vie à croiser les doigts pour ne
pas se faire dénoncer. On pratique ce qui n’est que son métier, mais en sachant que l’on
risque la dénonciation, l’enquête, la suspension voire la radiation, on frissonne quand on
reçoit une lettre de l’ordre des sage-femme, on vit sous la menace de perdre son travail,
simplement parce que l’on fait son travail. Ou alors on renonce.


Nous parlions de responsabilité, mais de responsabilité envers quoi ? La santé ? C’est-à-dire
que nous parlons du souci de sécurité ?
Chacun sa place : on ne pense pas à la place des femmes, ce n’est pas le rôle d’un
soignant.
Les professionnel-le-s de santé ont une obligation de moyens, pas de
résultat : autrement dit elles ont l’obligation d’informer. D’ailleurs l’information doit être claire
et loyale, donc les faux arguments, les menaces, les mensonges pour extirper le
consentement sont des pratiques illégales. Dire à une femme “si vous accouchez chez vous,
votre bébé risque de mourir” c’est illégal.

Soignant-e c’est un métier, souvent une vocation, une passion, un mode de vie, mais
ce n’est pas une mission. Se rappeler que c’est un métier et pas une mission, c’est se
rappeler que nous sommes là en tant que professionnelles, pas en tant que personne
envoyée (mission vient de missive) par une volonté supérieure. Le métier du soignant est
de proposer des soins, d’informer, pas d’obliger les gens à prendre des décisions
qu’il estime comme bonnes.

Une femme qui veut accoucher chez elle est informée des risques – ce n’est pas plus risqué
en soi, simplement s’il y a un problème il sera plus vite pris en charge si l’on est déjà à
l’hôpital que si l’on n’y est pas, mais il n’y a pas de risque inhérent au fait que l’enfantement
se passe au domicile. Il est plus sûr d’accoucher chez soi qu’en voiture ou sur un parking
parce que l’on doit absolument arriver à l’hôpital pour ne pas se faire gronder.
Pour l’instant en France il n’existe pas de statut légal du foetus ni de l’enfant en train de
naître (il n’est ni né, ni dans le ventre) donc nous n’avons pas de responsabilité légale
envers lui tant qu’il n’est pas né. Pourtant tout est fait pour qu’il prévale sur le corps de la
mère – si l’on se penche sur la question, à peu près tout prévaut sur le corps d’une femme de
toutes façons.

Le consentement est requis pour tout acte médical sauf dans deux situations : un risque de
décès immédiat du patient et son impossibilité de consentir (malaise, infarctus…) et une
prise en charge psychiatrique imposée par la justice.
Lors d’un accouchement, la femme est en capacité de donner son consentement ou de le
retirer, et si elle ne consent pas à un geste malgré le risque imminent pour le bébé,
légalement c’est son choix et son droit. Prenons l’exemple d’une femme à qui l’on va
donner toutes les excuses, même si en soi elle n’a pas besoin d’excuses, mais c’est pour
illustrer des situations qui sont possibles : une femme excisée, violée, prisonnière d’un
réseau d’esclavage sexuel, se retrouve enceinte, l’apprend trop tard pour avorter, souhaite
remettre l’enfant à l’adoption. On lui dit qu’on va lui faire une épisiotomie, elle refuse, sa
vulve a déjà été trop violentée, elle refuse qu’on la découpe une fois de plus. On insiste, on
lui dit qu’il y a un risque vital pour le bébé, elle REFUSE l’épisiotomie. De quel droit va-t-on
découper le sexe de cette femme qui refuse clairement cet acte, alors qu’il n’y a pas de
risque vital pour elle et qu’elle est en mesure de donner (ou de ne pas donner) un
consentement libre et éclairé ? On va sacrifier la santé d’une femme pour sauver celle d’un
foetus qui n’est pas encore né, en sachant que la première cause de mortalité des femmes
dans l’année qui suit la naissance de leur accouchement, c’est le suicide ?
Nous sommes face à la nécessité de rendre leur corps aux femmes en replaçant chaque
protagoniste de la relation de soin à la juste place qui est la sienne : lors d’un
accouchement, la femme est souveraine.


En quoi est-ce que liberté et responsabilité sont opposées ? Nous avons également la
responsabilité de laisser les femmes user de la liberté qui est la leur.
Si l’on parle de l’AAD comme d’une liberté en opposition à la responsabilité, c’est comme si
c’était une décision irresponsable, dans une certaine mesure. En quoi est-ce que la
décision d’accoucher chez soi viendrait en contradiction avec certaines responsabilités ?
C’est très récurrent de penser que les femmes sont irresponsables.
On parle de la responsabilité de sécurité, soit de faire en sorte d’être sûres que l’enfant à
naître naisse et survive. Mais remettons les choses à leur place : concrètement, quels sont
les dangers, quelles sont les statistiques des naissances pendant lesquelles la mère et/ou
l’enfant a besoin de soins hospitaliers prodigués en urgence pour être maintenu en vie ?
Est-ce que ces statistiques justifient que l’on rende les AAD presque impossibles ?
Y a-t-il proportionnellement plus de décès en AAD qu’à l’hôpital ? Auraient-ils pu être évités
par une prise en charge immédiate ?


Et même s’il était plus risqué d’enfanter chez soi qu’à l’hôpital, est-ce que ce serait
une raison pour nous en empêcher ? Est-ce que, parce qu’on fait le choix de prendre
un risque (si tant est qu’il y ait un risque, on est d’accord), on est irresponsable ?
On
peut se dire que la personne qui prend une décision majeure pour son corps, sa vie et celle
de son enfant pèse les bénéfices et les risques, évalue la situation et réfléchit aux risques
qu’elle est prête à prendre ou pas.
Quand une femme décide de prendre le contrôle de son corps, elle le fait. Depuis
toujours, malgré ce que la morale a pu en dire, malgré les sanctions promises par les lois
féminicides, les femmes avortent, par exemple
. Que ce soit à l’hôpital, chez la voisine, ou au
fond des bois, lorsque les femmes veulent exercer la liberté qui est la leur elles le font.
Donc quand on rend l’AAD extrêmement sélectif (seulement les grossesses
physiologiques, pas les primipares, pas les gros bébés, pas les diabètes, pas les AVAC…),
on pousse les femmes qui ont décidé d’accoucher hors de l’hôpital à accoucher seules.
Parce que si elles ont décidé de ne pas mettre les pieds à l’hôpital, pour les raisons qui sont
les leurs, elles ne le feront pas. Elles iront donc enfanter chez elles, avec ou sans
sage-femme à leurs côtés. Alors la question de la responsabilité des soignants se pose
de nouveau : si l’on n’accompagne pas les femmes chez elles parce qu’on estime que
c’est trop dangereux, et qu’elles décident de rester chez elles sans personne, ce que
l’on estime encore plus dangereux, est-ce qu’il ne vaut pas mieux les accompagner,
plutôt que les laisser seules ?

L’éthique, c’est la voie du “mieux possible”, pas la voie du Bien absolu. On fait ce que l’on
peut dans les circonstances que l’on a. Attention je n’ai rien contre le fait d’accoucher seule,
je l’ai fait, je trouve ça magnifique, mais certaines femmes aimeraient être accompagnées et
ne le peuvent pas. Elles ne devraient pas devoir choisir entre “être seule chez soi” ou “être à
l’hôpital”, elles devraient pouvoir être accompagnées chez elles, et cela doit être un choix
libre.

Je suis cette femme qui a décidé d’accoucher sans accompagnement médical parce qu’il
était hors de question que je mette les pieds à l’hôpital. Ma sage-femme est cette
sage-femme qui rêve des accouchements à domicile mais ne le fait pas parce qu’elle ne
peut pas se permettre de se faire radier. Elle est celle qui dit “une fois que tu as accouché, si
tu m’appelles je viendrai, et si l’Ordre m’envoie une lettre, je leur dirai qu’une femme chez
elle est plus en sécurité avec moi que seule”.


Alors qui sont les irresponsables ? Les femmes qui prennent leurs décisions librement, en
connaissance de cause, qui vivent avec leur passé, leur histoire personnelle, leurs traumas ?
Ou les administrations qui empêchent les professionnelles de les accompagner, de pratiquer
ce qui n’est que leur métier – accompagner les accouchements – et vouent ces femmes à la
solitude ?


Une valeur centrale doit guider notre réflexion et nos décisions à toutes et tous : RIEN NE
DOIT PASSER AU-DELÀ DE LA SOUVERAINETÉ D’UNE PERSONNE SUR SON PROPRE CORPS.
Et ce n’est pas, ce ne sera jamais, irresponsable, que de laisser aux femmes le droit
de disposer d’elles-mêmes.

Ce texte en forme de manifeste a été prononcé le 2 mai 2022 à l’occasion des Journées de l’accouchement à domicile organisées par l’Association des professionnelles de l’AAD et le Collectif de défense de l’AAD en partenariat avec l’association Doulas de France et les éditions Le Hêtre Myriadis.

Coline Gineste est diplômée d’éthique du soin, une formation mettant en perspective des connaissances juridiques et médicales avec la réflexion philosophique. Son mémoire de recherche sur l’impact du sexisme sur la qualité des soins gynécologiques et obstétricaux l’a menée à étudier la construction des savoirs et des pratiques médicales appliquées aux corps féminins. Elle interroge donc, entre autres, les arguments de ceux qui défendent l’hospitalisation systém(at)ique des accouchements et qui craignent les enfantements à domicile. La réflexion éthique de Coline met l’accent sur la nécessité de rendre leur corps aux femmes en replaçant chaque protagoniste de la relation de soin à la juste place qui est la sienne.


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