La médiation familiale à la croisée des oppressions ? Sexisme, âgisme, discriminations… Et si la médiation familiale, très en vogue à notre époque, dans nos sociétés, était le lieu où se camouflent les rapports de domination ? L’espace où l’on blanchit la violence et où l’on étouffe la parole de la victime ?
Avertissement : Ceci ne concerne pas tous les médiateurs familiaux mais certains de ceux que j’ai croisés sur mon chemin, ou dont on m’a parlé. J’ai mis « les » médiateurs familiaux par soucis de clarté, il s’agit de certains médiateurs familiaux et médiatrices familiales.
Prenez une personne de bonne volonté, plutôt empathique et n’aimant pas le conflit. Formez-la, inculquez-lui le respect absolu des valeurs de l’État et de ses institutions, rendez-la aveugle aux rapports de domination et à ses propres préjugés – ou maintenez-la dans l’ignorance dans laquelle elle est depuis toujours. Installez-la dans une structure (une association ou un organisme) dont le fonctionnement est fondé sur des normes et règles rigides. Apprenez-lui quelques expressions en langue de bois telles que « respect et bienveillance », « transparence », « on vous a entendu », et autres phrases alambiquées fleurant la psychologie de comptoir. Enfin, saupoudrez le tout d’un ersatz de CNV (communication non-violente). Vous obtiendrez un médiateur familial plus redoutable qu’un policier en civil, plus raide qu’un juge, plus intrusif qu’un mauvais psy et plus insistant qu’un courtier en assurances.
Longtemps, je me suis dit que, décidément, je n’avais pas de chance dans mes relations car les médiations familiales non seulement ne menaient à rien mais me laissaient un vif sentiment de malaise voire d’injustice. Et puis un jour, j’ai participé à une réunion de femmes victimes de violences sexistes. Là, j’ai déclenché l’hilarité générale dans l’assemblée quand j’ai annoncé avoir entrepris une médiation familiale. Toutes les femmes présentes avaient aussi essayé et toutes avaient échoué. Elles m’ont confié leurs déconvenues lors de ces fameuses séances. Au travers de leurs récits, un schéma se dessinait. Je me suis alors demandé si l’inefficacité des médiations, loin d’être la « faute à pas de chance », n’avait pas en fait des causes systémiques. Pire : les médiations servaient-elles un autre but que celui affiché ? Et si l’échec des médiations étaient en fait une réussite ? Celle d’une société qui, de la même manière qu’elle se greenwash ou se pinkwash, s’offre un vernis de non-violence et de bienveillance en maintenant bien en place les diverses dominations et en particulier celle des hommes sur les femmes et les enfants, la violence patriarcale et étatique. Tout en bâillonnant et les femmes et les enfants, empêchant les premières d’assumer, le cas échéant, leur fonction de parent protecteur.
Ce qui m’a mise sur la voie est la citation de Desmond Tutu : « Si tu es neutre en situation d’injustice, alors tu as choisi le camp de l’oppresseur ». Les médiateurs familiaux sont neutres. Terriblement neutres. Aveuglément neutres. Lâchement neutres. Dangereusement neutres. Ils font preuve de neutralité là où il faudrait moralement prendre parti. Et, parce qu’on n’est jamais vraiment neutre en réalité – c’est une dangereuse illusion de le croire –, ils prennent parti de toute façon, mais à mauvais escient, en fonction de leurs propres valeurs et de leur formation. Cette neutralité de façade n’est qu’un écran de fumée pour cacher leur mission de transmission des valeurs de l’État et de contrôle de la population.
Comme les manifestations et autres pétitions pour le climat, qui font appel au sens moral de gouvernants qui en sont totalement dépourvus, la médiation familiale se base officiellement sur la croyance naïve qu’un oppresseur, un dominant – que la domination s’exerce de manière plus ou moins subtile – va subitement changer de fonctionnement et d’état d’esprit une fois la porte du cabinet de médiation familiale franchie. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. La médiation familiale n’engage que les personnes de bonne foi, sincères et empathiques, ayant une réelle volonté de créer des relations justes et harmonieuses. Pas les personnes souhaitant coûte que coûte conserver leurs privilèges.
Une pièce de théâtre
Il est inconcevable pour la médiatrice familiale qu’elle puisse tout simplement être instrumentalisée, non seulement par l’État, via l’institution qui l’emploie, mais aussi par l’homme qui entre dans son bureau ou son cabinet. Que cet oppresseur vienne pour gagner du temps, pour amadouer sa victime, pour faire des fausses promesses, pour obtenir des informations personnelles sensibles, pour extorquer à sa victime un acquiescement et donc gagner encore plus de pouvoir, pour « rattraper le coup » après un jugement défavorable ou, d’une manière générale, pour s’appuyer sur une institution et ses valeurs afin de se maintenir en position de pouvoir, tout cela ne semble pas un instant effleurer l’esprit des médiatrices familiales. On peut mentir avec brio et jouer un rôle de composition de manière toute à fait crédible. On peut aussi raconter n’importe quoi en toute sincérité. La subjectivité des points de vue n’enlève rien à la responsabilité ou à la culpabilité (un viol aussi est la rencontre de deux subjectivités). Il semblerait cependant que, pour le médiateur familial, par une espèce de croyance magique, toutes les personnes qui « choisissent » d’entamer la médiation familiale sont forcément de bonne foi et n’attendent que cet espace pour exprimer en toute sincérité ce qu’elles ont sur le cœur et tomber en pleurs dans les bras l’une de l’autre, soulagées d’avoir mis fin en quelques heures à un « malentendu » multimillénaire.
Il est déjà assez pénible pour une victime d’être en contact avec son agresseur. Mais quand en plus une personne s’est donnée pour mission de les rabibocher, on frôle la torture psychologique. Qui aurait l’idée saugrenue d’aller demander gentiment à un cambrioleur de bien vouloir arrêter de voler, à un serial killer d’arrêter de tuer, au PDG d’une entreprise polluante de fermer, ou à un maître esclavagiste de libérer ses esclaves ? Les médiateurs familiaux font mieux que cela encore : ils demandent au cambrioleur, au serial killer, au PDG, au maître esclavagiste, bref, à l’agresseur, non pas d’arrêter de dominer et d’agresser mais d’exprimer son ressenti, de donner la raison pour laquelle il domine, exploite, contrôle. Pas pour la déconstruire – ce qui pourrait avoir un vague intérêt dans un autre contexte – non, mais pour la légitimer et en faire une émotion respectable. Ce qui peut donner des dialogues assez loufoques comme :
Monsieur : J’étais très en colère qu’elle porte plainte contre moi !
Médiatrice familiale : Madame, entendez-vous la colère de Monsieur ?
Madame : …
Ou encore :
Madame : Comment peut-on communiquer normalement quand il y a une domination de l’un sur l’autre ?
Médiateur familial : Vous avez l’impression que Monsieur vous a dominée, là, pendant cette séance ?
Madame : Il y a une inégalité entre nous.
Médiateur familial : Est-on jamais vraiment égaux ?
Madame : …
Quoi de mieux pour lui faire perdre un peu plus de sa confiance en elle et lui faire douter de la légitimité de ses revendications que de demander à la victime d’écouter, avec bienveillance s’il vous plaît, le point de vue de l’agresseur ? Mettre un terme à une situation conflictuelle avant d’avoir pris conscience des jeux de pouvoirs et dénoué les rapports de force qui s’y exercent, impensable, n’est-ce pas ? Pas en médiation familiale ! Une femme empêtrée dans une domination masculine datant de plusieurs années ou dizaines d’années à son échelle et plusieurs millénaires à l’échelle collective sera sommée de faire son mea culpa – pardon sera invitée à exprimer son « ressenti subjectif » et à reconnaître les efforts fait par Monsieur – pour « aller de l’avant ». Ce qui concrètement signifiera se plier à sa volonté… mais avec grâce. C’est-à-dire en taisant son sentiment d’injustice, sa colère, sa soif de liberté, d’égalité, de dignité. C’est ainsi que le conflit sera « résolu » sans même avoir eu besoin de livrer bataille.
L’enfant, grand absent de la scène, est quant à lui clairement relégué au second plan. On assure qu’il est au centre de la médiation mais c’est, au mieux, comme objet de discussion. L’enfant n’est jamais sujet ou acteur. Le médiateur familial posera rapidement le cadre avec des phrases « innocentes » du style : « Il y a les parents et il y a les enfants », « Votre fille vous a dit cela, mais est-ce vrai ? », « Ce n’est pas à l’enfant de décider », ou encore « Il n’est pas censé être le messager » – car pour l’enfant, exprimer ses besoins, ses désirs pour peu que la mère le soutienne dans ses choix, c’est être le « messager » de la mère. En somme, l’enfant doit se taire en tout lieu et en tout temps et, contrairement à la mère, on ne fait même pas semblant de l’écouter. Il est bien sous contrôle des adultes et son avis importe peu.
Deux sourds et une muette
La médiation sert à rétablir la communication dans le couple séparé, nous dira-t-on. Cela suppose qu’il y ait eu antérieurement une véritable communication saine, dépourvue de toute domination – ce qui, dans une société profondément inégalitaire, relève plus souvent du mythe que de la réalité – et que, malgré cela, le couple ait souhaité se séparer. Admettons. À vous les femmes qui seriez tentées d’essayer de « communiquer », sachez tout de même à quoi vous vous exposez :
Dites que vous ne vous sentez pas en sécurité pour exprimer des choses personnelles devant votre (ancien) oppresseur, on vous assurera qu’il n’a pas le droit de les réutiliser, que la médiation est basée sur la confiance et que si d’aventure cela arrivait, ce serait très vilain !
Évoquez la souffrance de votre enfant et son appréhension à aller chez l’autre parent violent psychologiquement voire physiquement, on vous répondra que c’est vous qui avez l’autorité parentale et que c’est à vous de prendre les décisions, pas à l’enfant.
Faites valoir cette autorité parentale pour aller dans le sens de l’enfant, on vous rétorquera que l’autorité parentale est conjointe et qu’il vous faut prendre en compte le point de vue de l’autre parent, le père, comprenez : vous y soumettre.
Proposez un accompagnement de l’enfant respectueux de qui il est et de sa nature (allaitement long, unschooling, absence de violence éducative ordinaire, médecines alternatives, respect de son rythme de sommeil ou de sa gestion de son alimentation), on ne vous dira rien mais on vous regardera jusqu’à la fin des séances comme une folle – vous êtes désormais catégorisée comme faisant partie d’une secte.
Bondissez de votre chaise quand Monsieur vous calomnie éhontément, on vous dira de le laisser parler et de l’écouter.
Essayez d’élever un peu le débat en parlant de la domination masculine dans notre société et de son impact sur la médiation elle-même, on vous dira de « séparer l’homme de son œuvre** » – ou l’on vous dévisagera en silence avec des yeux ahuris.
Restez silencieuse, on vous dira d’un ton mielleux qu’il faut vous lancer et vous exprimer.
Gardez votre sang froid et prenez une distance émotionnelle vitale, on vous dira qu’il faut vous impliquer et ne pas être détachée.
Prenez le temps de décortiquer chacun des mensonges de Monsieur, on vous dira qu’il n’y a plus le temps, que la séance touche à sa fin. Au revoir, Madame. À dans un mois !
Bien sûr, on ne manquera pas de vous asséner à longueur de séances que vous êtes « libre » d’interrompre la médiation quand vous le souhaitez. Vous êtes « libre » d’être présentée auprès des autorités compétentes*** comme un parent irresponsable et refusant le dialogue avec l’autre parent. Mais sans égalité pas de liberté.
À vous qui avez réussi ou eu l’impression (l’illusion ?) que la discussion en médiation a débouché sur quelque chose d’intéressant, envisagez un instant que cela ne puisse être que grâce au temporaire bon vouloir du dominant ou à la résignation de la dominée. Chaque réussite ou pseudo-réussite, sert surtout à légitimer la médiation familiale en elle-même… et tous ses échecs. De la même manière que le label « durable » couvre les pratiques les plus anti-écologiques qui soient, la médiation familiale couvre un système inégalitaire, rend la victime coupable de ce qui lui arrive et fait croire que l’on peut négocier avec un agresseur. De la même manière que le mythe de l’efficacité indiscutable de la non-violence protège les plus forts et les plus violents, la médiation familiale protège l’agresseur, un système judiciaire sexiste et âgiste, le patriarcat.
Vers une vraie médiation ?
Une médiation juste peut-elle exister dans un système profondément inégalitaire ? Peut-elle être un espace étanche, hors du temps, à l’abri de tout ce qui se joue à l’extérieur ? Car pour l’heure, proposer ou imposer une médiation familiale, c’est déplacer la guerre que les hommes livrent aux femmes et aux enfants sur un terrain sur lequel les victimes n’ont même pas le droit de se défendre, de lutter. La médiation familiale contribue aussi à l’apprentissage de la mollesse de caractère, au lissage des différences d’opinion, à la valorisation du pacifisme dogmatique.
À vous les médiateurs qui faites un boulot formidable – et que je n’ai pas eu la chance de rencontrer – sachez que vous n’êtes peut-être pas la règle mais plutôt l’exception. Restez vigilant(e), nul n’est à l’abri d’une erreur d’appréciation. Est-ce que Monsieur n’est pas plus crédible avec sa voix posée, ses belles tournures de phrase, son air confiant ? Est-ce que Madame n’est pas un peu suspecte avec sa difficulté à s’exprimer, son côté passif ou agitée, ses idées curieuses ou loin de votre monde ? N’avez-vous pas des préjugés envers elle en raison de son statut social, de sa façon de s’habiller, de ses choix de vie, ou tout simplement parce que c’est une femme, une mère ? Saurez-vous voir, au-delà des apparences, ce qui se joue entre les deux personnes que vous avez devant vous ?
On pourrait souhaiter qu’il ne s’agisse pas pour les femmes, en médiation familiale, d’essayer de grappiller quelques miettes de leurs droits fondamentaux. Je me plais à rêver d’une médiation qui changerait de nom pour s’appeler déconstruction. Une médiation où les femmes seraient aidées à comprendre l’oppression qu’elles vivent, tandis que les hommes seraient contraints d’ouvrir les yeux sur ce qu’ils font subir… ou de partir. Une médiation où toutes les personnes concernées seraient présentes, enfants et adultes à égalité, une véritable assemblée. Une médiation dans laquelle on prendrait tout le temps nécessaire, des heures, des jours, des mois, des années (la médiation familiale n’a pas le pouvoir magique de débloquer une situation en quelques heures et les médiateurs familiaux et médiatrices familiales ne sont pas des surhommes ou des surfemmes dont les paroles et les actes vaudraient plus, seraient plus concentrés que ceux des autres). Cela ne serait plus un temps particulier et ponctuel, à l’écart de la vie. Il s’agirait simplement d’interactions normales, naturelles et spontanées entre des êtres humains qui vivent ensemble, tous libres, tous frères, tous égaux.
Fantine
* Référence à l’émission avec J.B. Fressoz « Transition, piège à con » (Le Media), sur la transition écologique.
** Les juges ordonnent parfois des médiations ; les avocats conseillent souvent à leur client de faire une médiation pour faire bonne figure ; enfin, il est parfois nécessaire de tenter une médiation avant d’entamer une procédure pour justifier celle-ci.
*** Référence à Polanski et son dernier film J’accuse.
Bibliographie :
Ariane Bilheran, Le Harcèlement moral, Armand Colin, 2017.
Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral, Pocket, 2018.
Isabelle Nazare-Aga, Les manipulateurs sont parmi nous, Les éditions de l’Homme, 2013.
Podcasts de Floraisons, notamment « Gilets jaunes éco-féministes » : https://floraisons.blog/podcast1-2/ .
Interviews de Francis Dupuis-Déri sur Thinkerview, notamment « Crise de la masculinité ? » : https://www.youtube.com/watch?v=ndXqR_aWHcU
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