À quoi servent les contrôles pédagogiques effectués par les inspecteurs de l’Éducation nationale ? Tout d’abord, à vérifier que l’enfant déclaré instruit en famille reçoit bien une instruction conforme à son droit. Si l’on se fonde sur les textes de loi qui affirment la liberté de choix pédagogique, les contrôles devraient essentiellement consister en un échange sur les objectifs et les moyens pédagogiques des parents d’une part, et sur l’acquisition de diverses compétences et savoirs de l’enfant d’autre part. Cependant, les contrôles ne respectent pas toujours les choix pédagogiques des familles et peuvent virer au cauchemar quand, insatisfaits des résultats, des inspecteurs prononcent une injonction de scolarisation. Il nous semble que toute démarche d’instruction en famille ne peut faire l’économie d’une solide préparation (connaître les textes de lois, formuler précisément son projet éducatif) afin de défendre au mieux cette liberté d’instruction de plus en plus menacée.
Lorsqu’on a choisi de suivre les programmes établis par l’Éducation nationale, lorsqu’on soumet régulièrement son enfant à des évaluations et que celui-ci présente des résultats à peu près « convenables », on a de bonnes chances de satisfaire les attentes de son inspecteur. Les choses peuvent se corser quand on adopte une démarche pédagogique plus hétérodoxe, dont les inspecteurs sont peu familiers. C’est le cas notamment des pédagogies qui excluent les évaluations (dans un souci de préservation de l’estime de soi de l’enfant dont les compétences et les savoirs ne se limitent pas à ce qu’un test, forcément fini et orienté, mesure) ou des apprentissages menés par l’enfant lui-même selon son rythme et ses besoins et désirs (ce qu’on désigne souvent par le vocable anglo-saxon « unschooling » même si des équivalents français existent comme apprentissages autonomes, autogérés, informels). Les rapports entre les deux parties peuvent également se tendre quand les acquisitions de l’enfant ne correspondent pas du tout à ce que les inspecteurs attendent typiquement d’un enfant du même âge qui serait scolarisé, par exemple qu’il sache lire de façon fluide à 7 ou 8 ans. La non acquisition de la lecture, mettons à l’âge de 11 ans, chez un enfant instruit en famille est considérée comme pathologique par bon nombre d’inspecteurs qui n’ignorent pourtant pas que le taux des élèves ne sachant pas lire à l’entrée en 6e avoisine les 20 % et alors que des études1 montrent que chez les enfants non-sco, le fait de lire tard n’a aucun effet négatif sur le développement intellectuel, l’équilibre, ou l’acquisition ultérieure d’une lecture efficace .
D’une liberté difficilement reconnue…
Pourtant, les dispositions législatives actuelles ne précisent ni un mode d’instruction, ni un mode d’évaluation, ni une progression déterminés. En fait, et cela semble logique, l’évaluation doit être adaptée au mode d’instruction mis en place par la famille et à la progression de l’enfant. En aucun cas, pour vérifier l’efficience de l’instruction, les inspecteurs ne peuvent prendre pour référence un mode d’instruction hétérogène à celui choisi par la famille ou une progression théorique et standardisée telle que l’Éducation nationale l’envisage dans son découpage de la scolarité en cycles et dans ses attendus de fin de cycle. Ainsi, en théorie, dans le cadre législatif actuel, il est tout à fait légitime de pratiquer le unschooling. Ce que les inspecteurs doivent constater lors de leurs contrôles, c’est, en définitive, la possibilité pour l’enfant de s’instruire dans les domaines concernés par le socle commun des connaissances définis par l’Éducation nationale et l’effectivité ou la réalité de cette instruction vécue par l’enfant.
Pourquoi dès lors les parents qui ne se réfèrent pas au programme et mettent en place une pédagogie nouvelle ou une non-pédagogie (au sens où les parents n’interviennent pas dans le processus d’apprentissage dont les rênes sont laissées à l’apprenant lui-même, ce qui paraît parfaitement sensé) sont-ils autant embêtés ? Est-ce parce que les inspecteurs ne sont pas formés à constater une instruction et une progression « atypiques » i.e. éloignées des standards définis pour l’école ? C’est une explication possible. C’est pour certains parents une raison supplémentaire de refuser les tests. Car outre leurs effets potentiellement anxiogènes et dépréciatifs (anxiété et baisse de la confiance en soi sont des effets post-contrôle régulièrement rapportés par les familles), ceux-ci sont en général également réducteurs car, non adaptés au mode d’instruction évalué, ils peuvent ne pas refléter l’état réel des connaissances et compétences de l’enfant et manquer leur objectif de révéler une progression qui pourtant existe réellement, ce que les parents et l’enfant lui-même sont bien plus légitimes à constater.
Parfois, sous la pression, certains parents et leurs enfants acceptent des tests inadaptés… et si les résultats sont jugés insuffisants après un second contrôle, ils sont mis en demeure de scolariser leur enfant. Mais pourquoi les parents instructeurs seraient-ils soumis à une obligation de résultat quand les enseignants des écoles publiques ne le sont pas ? Et pourquoi les acquisitions devraient-elles se faire dans un ordre et à un rythme déterminés par quelqu’un d’autre que par la personne concernée au prime abord, à savoir l’apprenant ? On peut du reste se demander ultimement pourquoi des adultes décident pour des enfants dont ils ignorent tout, leur sensibilité, leurs goûts, leur personnalité, ce qu’ils doivent connaître et maîtriser. Et en effet, pour certains, cette ingérence d’une institution de l’État dans des esprits en pleine formation est une atteinte grave à leur libre arbitre.
… à une liberté niée
Bien que théoriquement admise, la liberté d’instruction est de fait sans cesse malmenée pour toutes sortes de raisons, manque de formation des inspecteurs aux spécificités de l’IEF, opposition idéologique à un type de philosophie éducative, etc. Et elle risque même d’être purement et simplement niée. En effet, le ministère de l’Éducation nationale prépare un nouveau décret qui aurait pour but de préciser le Code de l’éducation et notamment les modalités d’application de la loi. D’après Doriane Korscinski, membre de l’association Les enfants d’abord, avec ce nouveau décret, le choix du unschooling devient tout simplement impossible. Car en effet, le décret préciserait « la nécessité d’une progression continue dans tous les domaines du socle et celle de se référer aux attendus de fin de cycles pour la vérification de l’enseignement, et […] introduirait dans le Code de l’éducation la soumission des enfants à des exercices écrits ou oraux lors de la vérification de l’enseignement. » Ces attendus de fin de cycle sont incompatibles avec des apprentissages autonomes.
Il est à noter que ces attendus de fin de cycle ne concernent pas certaines notions (par exemple en histoire ou en sciences) pour la raison qu’elles heurteraient la liberté de conscience, de religion ou de croyance. Mais comme le fait remarquer Doriane Korscinski, d’autres notions sont susceptibles de heurter cette liberté de conscience. C’est par exemple le cas lorsqu’une famille refuse pour des raisons philosophiques le principe de la compétition et de la confrontation. Or parmi les attendus du cycle 2 en sport, nous avons « Accepter de viser une performance mesurée et de se confronter aux autres » qui est tout à fait susceptible de faire l’objet d’une objection de conscience. De la même manière, on peut être philosophiquement réticent vis-à-vis du type d’enseignement formel de la grammaire ou des mathématiques que supposent ces attendus.
La liberté d’instruction est plus menacée que jamais par ces nouvelles dispositions réglementaires et législatives qui verrouillent littéralement toute possibilité de défendre son choix pédagogique. Pour protéger cette liberté, il est urgent d’agir. L’association Les enfants d’abord a rédigé une lettre à madame le premier Ministre pour l’enjoindre à ne pas signer ce décret qui aurait pour effet de réduire des libertés que le Code de l’éducation garantit. On peut trouver cette lettre sur le site de l’association et s’en inspirer pour rédiger son propre courrier de contestation. On peut également solliciter le député et le sénateur de sa circonscription, et même toute la hiérarchie de l’Éducation nationale depuis l’inspecteur académique jusqu’au ministre. On peut aussi soutenir, par exemple par une cotisation, les associations de parents qui instruisent leurs enfants en famille2. Chaque action individuelle est importante pour donner du poids à cette lutte fondamentale contre ce qui n’est rien d’autre qu’une restriction de nos droits et de nos libertés.
1 – Voir Educating children at home, Dr Allan Thomas, Éditions Cassell, Londres, 1998, où l’on peut lire « En général, ces lecteurs « tardifs » rattrapaient très vite et dépassaient le niveau de lecture correspondant à leur âge et, comme les autres enfants éduqués à la maison, aimaient lire. »
2 – Les enfants d’abord : https://www.lesenfantsdabord.org/ ; Libre d’apprendre et d’instruire autrement : https://laia.asso.free.fr/ ; Choisir d’instruire son enfant : https://cise.fr/
Article initialement paru dans le n°59 du magazine Grandir Autrement.
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