Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875). « Scène d’accouchement ». Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais.

Qu’appelle-t-on un accouchement naturel ? Pourquoi les femmes ont-elles de plus en plus de difficultés à accoucher ? Quel est le rôle de l’imaginaire collectif, des représentations culturelles de l’accouchement dans la façon de mettre les bébés au monde ? Processus physiologique pour lequel les femmes sont éminemment programmées, la parturition n’en demeure pas moins profondément ritualisée et prend, de ce fait, une grande diversité de figures façonnées à la fois par l’histoire individuelle et le contexte culturel.

Les animaux mettent bas ; les femmes accouchent. Voilà comment, en français, est résumée l’incommensurable distance, du point de vue de la parturition, entre les humaines et les autres femelles mammifères. C’est d’abord et avant tout une distinction de posture. L’adverbe bas se rapporte à la hauteur car souvent les femelles mammifères sont debout durant une grande partie du travail et même au moment de l’expulsion. Au contraire, les femelles humaines enfantent couchées, elles déposent leur progéniture sur leur couche.

Naturel, eutocique ou physiologique

La grande majorité des femmes des sociétés industrielles partagent cette vision de l’enfantement. Pire, et c’en est une conséquence directe : la grande majorité de ces femmes vivent ce genre d’accouchement. Et parmi elles, certaines espèrent « accoucher naturellement ». Mais que veut au juste une femme qui affirme vouloir accoucher naturellement ? Pourquoi alors ont-elles de plus en plus de mal à accoucher ? Pourquoi de plus en plus de bébés naissent par césarienne ou à coups d’expression abdominale, de ventouse ou de forceps ? Pourquoi le travail du corps est-il de plus en plus déclenché, soutenu, dirigé par la chimie médicamenteuse ? Pourquoi les femmes doivent-elles être guidées pour pousser leur bébé ? Pourquoi, si la parturition est un processus naturel, celle-ci a-t-elle autant besoin d’être matériellement, physiquement, techniquement encadrée et soutenue ?

Contre le bon sens physiologique

Plusieurs auteurs, dont le chirurgien-obstétricien et chercheur Michel Odent, ont montré que l’interventionnisme humain, de quelque nature qu’il soit, mais surtout médical, est un perturbateur majeur de la physiologie et cela depuis plusieurs siècles car on intervient sur le corps des femmes en travail depuis plus longtemps que l’invention de l’obstétrique moderne. L’hormone qui gouverne le processus de l’enfantement est l’ocytocine. Or, selon les termes de Michel Odent [4], l’ocytocine est une « hormone timide » ; elle n’est libérée que sous certaines conditions favorables : chaleur, sentiment de sécurité, absence de stimulations néo-corticales intempestives et donc, silence, pénombre, ne pas se sentir observée. L’adrénaline, hormone du stress, est antagonique de l’ocytocine. On comprend dès lors comment l’interventionnisme médical, fortement anxiogène, perturbe le déroulement du travail, notamment en le ralentissant, ce qui, par ricochet, augmente encore le recours à la technique : comme l’exprime si bien Eugène Ionesco dans sa Cantatrice chauve, caressez un cercle et il devient vicieux. Pourquoi alors les femmes vont-elles à l’hôpital ?

Du naturel, un peu ou passionnément

L’obstétrique moderne a sauvé des accouchements dystociques mais elle en a compliqué qui auraient été eutociques. Le modèle d’enfantement qu’elle propose aux femmes n’est pas le modèle physiologique car ce dernier l’invalide, l’exclut. Cette obstétrique se fonde sur le présupposé culturellement construit que le corps des femmes est insuffisant et que les parturientes ont besoin d’être assistées. Elle propose un modèle standardisé industriel peu respectueux des individus, de leurs besoins et de leurs désirs, qu’ils soient de naturel ou de technique, ou d’un mélange des deux.

1 https://www.cnrtl.fr/definition/accoucher

2 https://www.imdb.com/title/tt0411008

3 Dans Le Sens de la vie, on voit une femme en plein travail, roulée à toute vitesse sur une civière à travers un long couloir jusqu’à une véritable « salle des machines » en manière de salle d’accouchement. Les machines bipent dans tous les sens et les médecins conversent entre eux sans prêter la moindre attention à la pauvre femme allongée à laquelle, quand elle finit par se manifester pour demander ce qu’elle doit faire, ils rétorquent « Rien, ma chère, vous n’êtes pas qualifiée ».

4 Michel Odent décrit les effets de l’ocytocine naturelle dans plusieurs de ses ouvrages, notamment dans L’Amour scientifié, 2001, Éditions Le Hêtre Myriadis (réédition 2017).

5 Mais dans son dernier ouvrage, La Naissance d’Homo, le chimpanzé marin : Quand l’outil de vient le maître (Éditions Le Hêtre Myriadis, 2017), Michel Odent se demande si l’humain ne serait pas plutôt un mammifère aquatique.

Article initialement paru en mars 2014 dans le n°45 du magazine Grandir Autrement sous le titre « Accoucher : l’oeuvre de la nature, la part de la culture ».

Catégories : Naissance

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