En 1972, un projet d’aéroport Nantes-Rennes a vu le jour sur le site des communes de Notre-Dame-des-Landes, Vigneux de Bretagne et d’autres villages. Des groupes de luttes, des associations se sont mobilisés pour empêcher sa construction. Petit à petit, des agriculteurs historiques, de nouveaux exploitants, des militants, mais aussi des SDF et exclus en tout genre se sont retrouvés sur la zone correspondant au tracé de l’aéroport pour y vivre, y travailler, y cultiver la terre en préservant le bocage, sa faune et sa flore. Pendant quelques années, ils ont expérimenté une micro-société auto-gérée [1].

Intriguée par le portrait peu flatteur des Zadistes dressé par quelques grands médias, j’ai voulu aller à la rencontre de ces « casseurs radicaux » quelques jours avant le début des tentatives d’expulsion. J’ai découvert des personnes aux profils très divers, au passé et aux motivations variées. Avec toutes des points communs – une ouverture aux autres, un regard affûté sur le monde, une conscience de leur responsabilité… Du punk à chien au jeune ingénieur, en passant par la mère de famille et l’artiste, leur présence ici n’avait rien d’un hasard. Toutes avaient réfléchi de manière approfondie et avaient une vraie confiance en ce qu’elles étaient en train de faire. Quelques unes ont accepté de se confier à moi.

JJ, artiste militant, habite avec sa compagne sur la ZAD. Il y est extrêmement actif. Entre autres, il accueille, forme, communique.

 

Fantine : Qu’est-ce qui t’a mené jusqu’à la ZAD ?

JJ : J’ai été impliqué dans plusieurs luttes militantes avant, dont le Camp Action Climat [2] en 2009, en Angleterre. Il y avait là-bas des gens très impliqués pour soutenir la ZAD. Au début, je ne vivais pas sur place. Il y a deux ans, on est venus habiter ici avec ma copine, car on se disait qu’on ne pouvait pas soutenir de loin, il fallait le vivre au quotidien.

Qu’est-ce que tu fais au quotidien sur la ZAD ?

Il n’y a pas d’expertise ici, il n’y a pas d’expert. On veut sortir de la culture de l’expert. Chacun fait divers trucs chaque jour, il n’y a pas d’un côté l’intello, le boulanger, le bûcheron etc. Chacun fait un peu de tout. Je fais beaucoup de l’accueil, c’est surtout pour ce projet-là qu’on est venus. On a choisi de vivre à côté de l’accueil, à la Rolandière, près du phare et de la bibliothèque, pour faire découvrir la zone. On veut que la ZAD soit une zone ouverte, à l’opposé de l’État qui veut qu’on devienne une sorte de ghetto. J’ai aussi organisé pas mal de formations depuis 2016 avec ma compagne, pour être prêts à défendre la ZAD. J’ai construit un triton cracheur de feu pour une manifestation.

Que faisais-tu avant ?

J’étais prof aux Beaux-arts, maître de conférence. J’ai également été intermittent du spectacle, donc je suis artiste. Je me suis mis à mon compte, j’ai organisé beaucoup d’ateliers d’artistes. J’ai un pied dans les institutions culturelles et je cherche à faire des liens, des ponts…

Es-tu impliqué dans d’autres causes parallèlement ?

On aide aussi d’autres luttes en réseau. Par exemple, on a donné de la bouffe aux facteurs et factrices en grève. On assure une base matérielle de lutte.

Il y aurait, sur la ZAD, les « radicaux » et les autres. Fais-tu partie des « radicaux » ?

Je ne suis pas du tout un radical. J’aime bien le mot à l’origine mais la façon dont il est utilisé donne l’idée d’une valeur attribuée à quelqu’un. Comme les « pauvres » qui sont différents des « riches ». Ça individualise la lutte, alors que tout le monde est révolutionnaire, terme que je préfère.

Comment vois-tu l’avenir de la ZAD, après l’abandon du projet d’aéroport ?

La victoire est toujours un moment très très difficile. On savait qu’une autre ZAD allait émerger, ça fait un an et demi qu’on prépare ça. Mais il y a beaucoup de gens sur la ZAD qui ne voient pas les choses comme ça, c’est différent pour eux, il n’y a pas de stratégie, pas d’enjeu. Il y a tendance à y avoir de grandes crises sur la ZAD, mais ensuite il se passe une transformation. L’idée est de se battre contre le morcellement de cette zone, pour l’organisation des terres en commun. C’est une zone extraordinaire. C’est une autre façon de travailler, et de vivre ensemble, d’aborder la gestion de conflits. La lutte ne finit pas avec l’aéroport. Le slogan c’est : « Contre l’aéroport et son monde. »

 

Flo est arrivée sur la ZAD avec ses enfants, il y a un an et demi. Depuis quelques mois, elle n’y vit plus que par intermittence, faisant des aller-retour entre son appartement dans une grande ville et son camping-car sur la ZAD, au collectif de la Wardine. Pour elle, c’est un lieu de convergence des luttes.

 

Pourquoi es-tu venue vivre sur la ZAD ? Quelles sont tes motivations ?

Je fais le lien entre d’autres luttes et la ZAD : l’anti-racisme politique (même s’il y a peu de gens racisés sur la ZAD), la lutte contre les violences faites aux femmes, contre les violences policières etc. Il s’agit de ne pas être excluant. Sur la ZAD, je peux rencontrer un maximum de monde, surtout des gens qui sont dans une démarche anti-capitaliste. La Wardine est un lieu avec énormément de passage, des connexions se font avec plein de gens, c’est trop bien ! Je ne crois pas au gouvernement pour rendre les gens heureux. La ZAD, c’est une structure avec des gens qui réfléchissent autrement. C’est une tentative de se passer de hiérarchie. Déconstruire l’autorité. Il n’y a pas un chef qui dicte ce que l’on doit faire. On réfléchit à plusieurs sur les décisions à prendre.

Que faisais-tu avant ?

J’ai fait beaucoup de petits boulots dans plein de domaines. Je n’ai pas fait d’études, j’ai juste un BEP. L’école, c’était compliqué pour moi. J’ai un problème avec l’autorité.

De quoi vis-tu actuellement ?

Je n’ai pas d’activité professionnelle. Pour moi, le travail, ce n’est pas une valeur primordiale. Je ne fais pas rien pour autant. Au quotidien, c’est un gros investissement d’être sur la ZAD, il y a beaucoup de choses à faire, c’est pas des vacances d’être là-bas. Je vis du RSA ou de boulots au black, à l’extérieur de la ZAD. J’ai moins d’argent mais ça me suffit car je consomme autrement. L’idée, c’est de pouvoir se passer d’argent. J’ai participé au SEL [3] pendant longtemps, un système d’échange de biens et de services.

As-tu d’autres activités militantes, d’autres engagements parallèlement à la ZAD ?

Je suis aussi dans le réseau de familles non-scolarisantes depuis longtemps sans être vraiment militante. Je donne des conseils, je participe à des discussions de manière informelle sans être mandatée par une association. Je fais aussi de l’aide aux exilés. J’ai du mal à supporter les situations d’injustices. J’ai transmis ça à mon fils d’ailleurs.

Quel intérêt y a-t-il à ce que la ZAD demeure, maintenant que le projet d’aéroport est abandonné ?

La ZAD montre que sans oligarchie, ça peut marcher. Il n’y a pas de police, pas de tribunal, pas d’institution, pas de chefs. Il n’y a pas des décisions prises me concernant par des gens qui n’ont jamais vu ma tronche. C’est un endroit pour apprendre plein de choses en se passant de l’État. Les exclus marginaux peuvent vivre ici. La ZAD ramène plein de gens qui étaient à la rue, d’anciens toxicos…

Qu’est-ce qui risque de mettre en péril la ZAD ?

Il y a des conflits interne et, en même temps, il y a une pression gouvernementale. Depuis que la police est là, ils confisquent tout, opinel, bouteille de gaz. J’espère qu’ils ne vont pas me prendre la bouteille de gaz du camping-car. C’est une période horrible à vivre. Il y a des gens qui vivaient ici qui sont partis. À l’extérieur, il y a une certaine jalousie des gens qui bossent pour rembourser le crédit de leur maison et qui pensent que l’on devrait être propriétaire pour avoir le droit de cultiver et vivre ici.

 

Armel était un jeune sans domicile fixe avant d’arriver, en 2011, à la Grée, un lieu-dit et une communauté de la ZAD. Il y vit dans une caravane avec son chat. Il jardine, discute, écoute, organise…

 

Pourquoi es-tu venu à la ZAD ?

Je suis venu à la ZAD à l’origine parce que j’étais à un contre-sommet au Havre, un camp. Là-bas, par hasard, des gens m’ont parlé longuement de la ZAD. Du coup, je suis venu voir ; ça m’a plu et je suis resté. J’habite à la Grée dans une caravane et on a un mobil-home comme espace collectif, commun.

Comment vivais-tu avant ?

Je n’ai pas de formation professionnelle, je n’ai jamais vraiment exercé de métier, j’ai un parcours chaotique. Avant, j’étais en squat. Je ne savais pas quoi faire de mes dix doigts, je faisais plein de choses mais « rien de constructif ». Je rencontrais plein de gens, je dépassais mes limites… Mais finalement, avec du recul, je suivais le chemin qui m’a mené ici. C’était comme une étape préparatoire à la vie à la ZAD.

Quel est ton rôle sur la ZAD ?

Je n’ai pas vraiment de rôle particulier sur la ZAD. Il y a plein de gens qui me font du bien, donc j’essaie de faire pareil, je suis beaucoup avec les gens, j’écoute. Je participe au conseil des habitants : c’est beaucoup gérer le quotidien, qui prend beaucoup d’espace, on parle aussi de projets individuels ou collectifs, on gère les embrouilles. Je suis aussi dans plein de petits groupes, par exemple le groupe Trésorerie.

De quoi vis-tu ?

Je vis du RSA, de la débrouille, de trucs produits sur la ZAD. Je cultive sur des jardins collectifs ou des délires perso. Je ne savais pas jardiner en arrivant, je n’y connaissais rien, j’ai appris avec les autres.

Que feras-tu s’ils évacuent la ZAD ?

Déjà, je vais rester jusqu’au bout, après je vais prendre mon camion, ma caravane et je vais prendre la route avec mon chat, je n’ai plus de chien. De toute façon, j’ai envie de me retrouver seul pendant un bon moment. Car je suis à donf sur la ZAD, ça fait dix ans que je vis en collectif, j’ai du mal à me retrouver moi-même.

Quel avenir pour la ZAD ?

C’est confus dans ma tête entre ce que je souhaite et ce qui risque de se passer. Je suis parti quinze jours pour réfléchir justement. Pour moi, il y a deux scénarios possibles : soit on arrive à gérer les médiations, on garde un truc chouette qui continue à avancer, sans truc légal, sans autorisation, un rassemblement politique, avec une diversité d’espaces, des espaces structurés et destructurés. Soit on fait une espèce de zone de privilèges, en virant les gens malpropres, un truc de bobos bios qui donnerait une belle image mais qui perdrait tout son sens. Ça serait composé de gens de l’extérieur, de gens déjà sur la ZAD, d’opportunistes etc.

 

Après un long parcours de militantisme, de réflexions et de voyages, Thierry s’est installé sur la ZAD. Son idéal : créer partout de l’abondance pour les gens, pour être en capacité d’être hospitalier partout.

 

Depuis quand es-tu sur la ZAD ?

Je suis sur la ZAD depuis le printemps 2011. Avant l’expulsion de 2012, j’étais dans un dôme en bois, paille et terre que j’avais construit. Mon igloo n’a pas été détruit mais je me suis retrouvé tout seul dans ce coin. On m’a proposé de venir dans le collectif où je suis actuellement. Donc depuis, j’habite dans une caravane, je n’ai pas eu le temps de reconstruire une cabane. Je n’avais plus assez d’énergie, j’ai préféré la consacrer à la possibilité que la ZAD puisse durer, la consacrer au collectif. J’habite avec ce collectif qui fluctue entre six et douze personnes selon les moments. Au maximum, on a été douze adultes et cinq enfants. En ce moment, on est plutôt six-huit.

Quels sont ta formation et ton métier à la base ?

Après un bac B, économique et social, j’ai fait des études d’art, pensant que l’art pouvait rendre les gens plus heureux. Puis, j’ai fait du design. Mais là, c’était inciter les gens à consommer plus, et ça, je ne le voulais pas. J’ai passé deux ans dans l’Arkansas dans la forêt dans une communauté. Quand je suis rentré à Paris, je suis devenu intermittent du spectacle, je travaillais à des décors de cinéma. C’était vendre de l’illusion aux gens, mais ça me laissait du temps pour militer.

Pourquoi es-tu venu sur la ZAD au départ ?

Les cours d’économie et société que j’ai reçus au lycée m’ont permis d’analyser le monde dans lequel je suis. J’ai compris qu’on ne pourrait pas trop changer le système de l’intérieur, qu’il fallait construire autre chose, à l’extérieur, pour vivre plus librement. En 1994, il y a eu le soulèvement zapatiste [4] ; ça me paraissait la seule voie politique intelligente. J’étais intéressé par des modes de vie autogérés. Je me suis engagé dans des mouvements de contestation, les No border [5], les antinucléaires, les anti-OGM. J’ai cherché des moyens créatifs de contester joyeusement. J’ai rejoint l’armée des clowns [6]. J’ai participé à différents Camps Action Climat, j’ai été en Angleterre. Parallèlement aux sommets du G8, du G20, j’ai participé à des contre-sommets, des groupes de discussions. Mais on a compris que, comme il y avait des arrestations préventives, de la répression sur les lieux des sommets, il fallait qu’il y ait des actions décentralisées. Donc, il y a eu un camp de trois jours à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, c’est à ce moment que je me suis installé.

De quoi vis-tu financièrement parlant ?

Je vis de mes économies et du RSA. L’idée, c’est de se passer au maximum de l’argent. Il y a encore des trucs dont on dépend pour lutter, comme l’ordinateur et le téléphone. Si je n’avais pas à lutter, je n’en aurais pas besoin, ou je les utiliserais beaucoup moins. Un ordi collectif, c’est suffisant. Il y a beaucoup de boulots nuisibles pour l’environnement. Je préfère vendre des légumes et des repas produits ici, c’est plutôt positif ; l’argent récolté est utilisé collectivement pour soutenir la ZAD.

As-tu des actions militantes autres que la ZAD ?

La ZAD rassemble toutes les choses pour lesquelles je luttais avant. J’aimerais développer ici l’autonomie alimentaire, une économie locale qui se passerait du réseau électrique français et du pétrole en produisant de l’énergie localement. Je suis contre le système hiérarchique, un système avec des gens qui en commandent d’autres parce qu’ils ont un pouvoir politique, économique, armé – l’armée et la police. Ici, on a des assemblées, des réunions qui permettent aux gens de discuter collectivement. On confronte les points de vue de chacun au lieu que ce soit quelqu’un qui décide pour les autres. Je milite aussi pour un désarmement mondial, pour sortir des conflits armés et de la domination. Je voudrais développer des modes de vie où l’on sort du racisme et des frontières, sortir des inégalités raciales, sociales, sexistes. Un espace où les gens peuvent se sentir égaux, sans la notion de propriété et les privilèges qui vont avec. Il n’y a pas besoin de frontières et de papiers d’identification pour vivre sur cette planète. S’il y a des gens sans-papiers, en situation d’irrégularité ou d’illégalité, on ne va pas les contrôler ou les dénoncer ici, au contraire. Par contre, ne sont pas les bienvenus les criminels qui sont dans un rapport de domination, de violence. À nous de décider en interne si on veut les garder ou non, si on essaie de les virer. C’est différent des justiciers à la Robin des bois.

Comment vois-tu l’avenir de la ZAD ?

Le système s’est aperçu qu’il se passait quelque chose à cet endroit, quelque chose qui dérange. Cela remet en cause le système économique. Ils voudront nous faire rentrer dans le rang. Ils sont plus forts que nous, même si on a des réseaux et le poids médiatique, l’État a la force économique, matérielle et aussi une force médiatique. On est face à un danger extérieur, qui va essayer de nous diviser. Il y a aussi la difficulté qu’on a, nous, de l’intérieur, à nous organiser collectivement. On a du mal à avoir la patience de se dire qu’on est là pour le bien collectif. Penser à tout le monde avant de penser à soi, c’est pas évident. Il y a autant de raisons que de personnes. On a tous un côté dictateur à déconstruire, il faut couper la tête du dictateur qui est en nous à chaque instant. Il faudrait que la ZAD inspire d’autres personnes. C’est un modèle social et environnemental à généraliser sur la planète.

C’est un peu un miracle qu’on soit encore là et qu’on ait fait annuler le projet d’aéroport. Mais du coup, on n’a plus le soutien de ceux qui voulaient juste l’abolition du projet d’aéroport et  ne nous suivent pas sur le reste, sur la construction d’un autre mode de vie. On tente notre chance. On a été plutôt chanceux jusqu’à présent. On va voir.

Entretiens menés et propos recueillis par Fantine

Pour soutenir la ZAD : https://zad.nadir.org

1 – Pour plus d’informations : https://zad.nadir.org/spip.php?article86&lang=fr

2 – Camps de protestation installés à côté d’un site ou projet de site industriel nocif pour le climat.

3 – Explication sur le SEL, système d’échange local : https://route-des-sel.org/fr/SELinfo

4 – fr.wikipedia.org/wiki/Armée_zapatiste_de_libération_nationale

5 – Mouvement antiraciste pour l’abolition des frontières : www.noborder.org

6 – Présentation de l’armée des clowns : reporterre.net/Manifeste-de-l-armee-des-clowns


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Interview: Voices of the #ZAD – Enough is Enough! · 17 avril 2018 à 20 h 06 min

[…] Submitted to Enough is Enough. Interview by Fantine : voix de zadistes. […]

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