Une équipe universitaire réunissant des sociologues, des philosophes, des linguistes au sein d’un séminaire de recherche sur l’instruction hors école (dite en famille) a publié le 14 octobre 2020, dans le journal Le Monde, une tribune en lien avec l’annonce faite le 2 octobre par Emmanuel Macron de son souhait de limiter strictement la possibilité de vivre et s’instruire hors institution scolaire d’État à quelques cas soigneusement sélectionnés. La phrase choisie par le rédacteur en chef pour titrer l’article a été prélevée dans le texte lui-même : « la décision de supprimer l’instruction en famille justifierait un débat public ». Commentaire de Fredy Fadel, père de trois filles qui ne pratiquent pas l’instruction à l’école.

 

Le contenu de l’article est académique avec quelques chiffres factuels mais, au fond, ne traite pas du sujet. Le titre, cependant, me laisse perplexe.
Que veut dire « un débat public » sur un sujet privé ? Le choix de porter un slip versus un caleçon mériterait-il aussi un « débat public » ? La relation des parents avec leurs enfants n’est pas un sujet public. Apprendre est un acte intime.
Je pense que l’école est nocive, elle est nocive pour tous, elle est nocive pour l’individu, elle est nocive pour la société. Elle a toujours été nocive et le restera demain. La nocivité de l’école est intrinsèque.
L’école répond à des impératifs d’état : colonisation, guerre, consommation, contrôle. Le maintien de superstitions comme « intérêt général », « égalité », « droits et devoirs », « santé publique », « nécessité d’être gouverné » sont les raisons d’être premières de l’école. Ces « mèmes » y sont inoculés et cultivés, d’ailleurs avec des méthodes archaïques comme des récompenses, des punitions et des fausses promesses.
On peut être superstitieux et s’adonner au culte de l’État. On pourrait aussi être un peu plus ambitieux et avoir la folle idée de vouloir se débarrasser de ces croyances primitives.
On pourrait être plus ambitieux et imaginer que, peut-être, un jour, on ne sera pas à la merci de ministres incompétents, qu’on pourra organiser une vie à Perpignan sans être des clones de Lillois dotés des mêmes connaissances, des mêmes diplômes, victimes des mêmes superstitions. On pourrait être plus ambitieux et rêver pour demain d’une société anti-fragile, diverse et tolérante, capable de trouver des accommodations variées aux intempéries naturelles, une société qui ne masque pas ses incompétences. On pourrait être plus ambitieux et vouloir cultiver la confiance en soi, l’estime de soi et la lucidité, on pourrait vouloir être acteur de sa vie.
Il se trouve que des gens variés et tolérants qui ont choisi d’expérimenter et de vivre des visions différentes, ça existe déjà aujourd’hui. Ils ont déjà abandonné le « paradigme de l’école », ils sont capables de vivre sans, au bénéfice de tous.
Les non-scolarisés tolèrent ceux qui s’acharnent à compartimenter et séparer leur vie dans des espaces et des temps spécialisés, un pour le travail, un pour l’apprentissage, un pour les loisirs et un dernier pour leur vie.
Ils ne punissent pas ceux qui pensent qu’on apprend uniquement en classe avec des notes, des examens et des jugements émanant de professionnels enseignants. Ils n’ont pas besoin d’aiguilleurs. Les signes, ils les cherchent, les apprivoisent et les interprètent selon le lieu, le temps et l’attention qu’ils choisissent d’y accorder.
On ne peut pas inventer sa vie et faire des choix singuliers si on doit passer quinze-vingt ans en classe, en monoculture, en mono-âge, en monostyle, enfermé entre des murs (même avec fenêtres), pris en otage par des professionnels du passé et des spécialistes du statu quo, contraint dans l’espace et le temps par les oukases d’une institution en faillite.
Ceux qui veulent consolider l’école et ses méthodes, ceux qui veulent la maintenir en vie à coup d’obligations et interdits, ceux qui veulent transformer l’école en monothéisme d’État, sont les conservateurs de la violence éducative ordinaire.
Une loi, une obligation, un interdit de plus ne sont que la poursuite d’une vision pessimiste et religieuse de la société. Vision qui fait l’hypothèse qu’il faut obliger à apprendre, qu’il faut enfermer pour enseigner, qu’il faut éduquer par menaces et punitions, par promesses de classement agrémenté d’éventuels diplômes qui seront obsolètes le jour où ils seront délivrés. Ce n’est pas un changement de paradigme, c’est le maintien de l’obscurantisme.

On apprend avec plaisir et enthousiasme, on apprend toujours et partout, animé par des motivations intrinsèques : la curiosité, l’envie de comprendre, d’organiser le monde et d’y participer, l’envie de choisir sa voie. Quand la chose apprise est la récompense de l’apprentissage, on se l’approprie. C’est ça un changement de paradigme.

 


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