Dormir avec son bébé allaité est normal, affirme l’anthropologue James J. McKenna. « Normal » ici signifie « attendu du point de vue de la norme biologique ». Car du point de vue de la norme sociale, le sommeil partagé est souvent considéré comme pathologique. Pour appuyer le rapport étroit entre le sommeil et l’allaitement, James J. McKenna nous propose un terme nouveau qui, cependant, désigne une pratique millénaire : breastsleeping ou le « sommeil allaité ».

Les nouveaux parents ou ceux qui ne l’ont jamais pratiqué ont souvent une représentation assez vague du sommeil partagé, communément appelé cododo. Pour décrire le sommeil partagé, James J. McKenna nous propose une image particulièrement inspirante : « […], imaginez une lionne et ses lionceaux endormis pêle-mêle : pattes contre dos et têtes appuyées sur les ventres. Ainsi lovés, leurs corps bougent au rythme de leurs respirations et forment une chaleureuse boule d’amour [1] ». Et en effet, on retrouve cette image de « chaleureuse boule d’amour » chez de nombreux mammifères et notamment chez les primates, dont nous sommes.

Le sommeil est, pour chaque espèce, adapté à ses besoins biologiques particuliers. Les bébés humains, en particulier, ont un besoin intense de proximité et de contact, de chaleur, de lait, de soutien émotionnel et affectif. Le corps allaitant de la mère est ainsi l’environnement le plus adapté pour répondre à ces besoins. Un sommeil solitaire n’est donc pas approprié aux besoins de base d’un bébé. Et partant, il est normal, d’un point de vue biologique, pour une mère de dormir avec son bébé allaité.

Le sommeil solitaire, une déviance culturelle moderne

Selon James J. McKenna, le « sommeil allaité » est l’adaptation des besoins de sommeil et des besoins de nourriture de notre espèce la plus aboutie, et la plus ancienne, de son évolution (« humankinds’s most successful sleeping and feeding arrangement [2] »). Le sommeil solitaire est une invention très récente des cultures dites occidentales au regard des millions d’années d’évolution du sommeil allaité. Il s’appuie sur plusieurs présupposés qui n’ont jamais été validés scientifiquement. Les raisons morales d’antan (prévenir l’infanticide, préserver le sanctuaire que serait le lit parental) ont été remplacées par des raisons qui se prétendent objectives, comme le fait que le sommeil solitaire favoriserait une autonomie plus précoce des enfants. Or l’autonomie précoce est particulièrement recherchée dans nos sociétés qui ont besoin de rapidement dégager les énergies, oserais-je dire « ressources », humaines de leur investissement parental. En revanche, il n’est pas du tout certain que le sommeil solitaire permette une authentique autonomie des enfants. La prévention des accidents, dans le sillage de la prévention des infanticides, et notamment, du syndrome de mort subite du nourrisson (SMSN) est sans doute la raison principale invoquée par les campagnes de prévention anti-cododo qui ne précisent pas les pratiques de sommeil partagé visées. Or, condamner le cododo sans préciser la façon dont il est pratiqué est illégitime. Comme l’explique James J. McKenna, le cododo n’est dangereux que dans certaines conditions que l’on peut déterminer et nous savons aujourd’hui définir des conditions de sommeil partagé sûres [3].

Les campagnes sanitaires anti-cododo sont sans doute une réponse aux évolutions culturelles récentes comme l’adoption d’un nouveau genre de mobilier peu adapté au sommeil partagé ou l’augmentation de l’alcoolisme ou du tabagisme. Mais c’est une réponse sans nuances car si le sommeil solitaire est adapté dans certains cas restreints, il n’en constitue pas moins une déviance comportementale par rapport au comportement biologique optimal qu’est le sommeil allaité.

Le sommeil allaité, une coévolution de la dyade mère/bébé

L’évolution même de notre espèce contredit la théorie du sommeil solitaire. Les bébés humains sont « programmés » pour rechercher la proximité et le contact de ceux qui en prennent soin, et ce pour plusieurs raisons. L’acquisition de la bipédie et donc la diminution de la taille du canal pelvien d’une part, et l’augmentation de la taille du cerveau et donc l’incapacité du placenta d’en soutenir la croissance jusqu’à maturité d’autre part, ont eu pour conséquence une naissance « précoce », dans un état d’immaturité neurologique et motrice qui n’a d’équivalent chez aucun autre primate, a fortiori chez aucun autre mammifère. De ce fait, les bébés humains sont extrêmement vulnérables et totalement dépendants des soins et de la protection d’individus adultes de leur espèce. Ils ont un besoin intense et constant de soins durant les premiers mois de vie. La composition du lait d’humaine nous donne un argument supplémentaire en faveur de la thèse du sommeil allaité. Les espèces animales qui laissent leurs nouveau-nés seuls durant de longues périodes ont un lait riche en graisses et en protéines et pauvre en sucres, ce qui permet aux petits d’être rassasiés et de patienter plus longtemps jusqu’à la prochaine tétée. Ce n’est pas le cas du lait humain et plus généralement des espèces animales qui portent, co-dorment et ont un contact prolongé avec leurs petits. La teneur en sucres (lactose essentiellement) du lait humain est presque deux fois supérieure à la teneur en lipides (7 % contre 3,8 %) et sept fois supérieure à la teneur en protéines [4], ce qui nécessite des tétées très fréquentes. Les bébés humains ne peuvent pas supporter de longues séparations, ne serait-ce que du point de vue de leurs besoins d’allaitement. On voit mieux, dès lors, pourquoi on ne peut penser l’allaitement et le sommeil des bébés séparément.

Le besoin de contact et de proximité du bébé humain est tout aussi important pour son développement optimal, et pas seulement parce que la proximité permettrait de mieux le protéger contre d’éventuels dangers. James J. McKenna et son équipe ont montré que le sommeil partagé multiplie par deux voire par trois les réveils nocturnes et donc le nombre de tétées, c’est-à-dire la quantité de lait ingérée. Il permet également au bébé de maintenir une température corporelle plus élevée que dans le sommeil solitaire. Le sommeil allaité influence également positivement la lactation. Tout cela s’accomplit dans une synchronisation des rythmes de la mère et du bébé, celui de la respiration et celui des cycles de sommeil, séparés par des micro-réveils durant lesquels le bébé tète, la mère ajuste les couvertures, embrasse et caresse son bébé avant de se rendormir tout à fait.

Expliquer plutôt que diaboliser

Le contexte de la dyade mère/bébé impliquée dans le sommeil allaité est si particulier qu’il doit être bien distingué des autres formes de sommeil partagé dans les études épidémiologiques sur les avantages et les risques de cette pratique. C’est pour cette raison que James J. McKenna propose le nouveau terme de « sommeil allaité » (breastsleeping). On sait par exemple que les réveils nocturnes fréquents et l’allaitement, ce qui caractérise précisément le sommeil allaité, sont des facteurs de prévention contre le SMSN. Du reste, l’OMS et l’Academy of breastfeeding medecine recommandent le sommeil partagé quand il est pratiqué dans des conditions qui assurent la sécurité du bébé. Plutôt que de rejeter en bloc une pratique, il faudrait en expliquer les conditions optimales de sécurité. James J. McKenna constate qu’en dépit des recommandations sanitaires américaines, la pratique du sommeil partagé est en augmentation aux États-Unis, augmentation sans doute directement corrélée à l’augmentation des taux d’allaitement. De plus, en réalité, cette pratique n’avait pas vraiment été abandonnée, les parents continuant de prendre leur bébé tout près d’eux au moins une partie de la nuit, comme le font les humaines depuis des millénaires, surtout quand elles allaitent [5]. Il est donc primordial d’informer les parents plutôt que de condamner leur comportement et de les culpabiliser.

Enfin, dans une société où le sommeil allaité est identifié comme un comportement biologique normal, un bébé qui se réveille souvent est un bébé biologiquement bien adapté, un enfant qui va bien, et pas un enfant qui a des problèmes de sommeil qu’il faut à tout prix soigner. On va enfin pouvoir co-dormir tranquille !

 

1 – Dormir avec son bébé, Éditions Ligue La Leche (2015).

2 – « There is no such thing as infant sleep, there is no such thing as breastfeeding, there is only breastsleeping », Acta pædiatrica,10 octobre 2015.

3 – Coucher le bébé sur le dos, sur un matelas ferme avec des draps bien ajustés. Garder le visage du bébé à découvert. Maintenir un environnement non fumeur.

4 – Biologie de l’allaitement : le sein, le lait, le geste, M. Baudry, S. Chiasson, J. Lauzière, Éditions des Presses de l’université du Québec (2006).

5 – La chercheuse britannique Dr Helen Ball a montré que les taux de sommeil partagé au sein d’une population sont sous-évalués car les parents ont tendance à répondre ce qui est socialement attendu plutôt que de décrire objectivement leurs nuits.

 

Article initialement paru en septembre 2016 dans le n°60 du magazine Grandir Autrement.

Catégories : Allaitement

3 commentaires

ARNOULT · 24 janvier 2018 à 15 h 36 min

retrouvons des comportements simplement naturels….

Jeanine · 26 janvier 2018 à 12 h 13 min

L’idée du cododo me séduit totalement ! Les animaux là aussi nous montrent l’exemple….. Ce n’est que de l’amour…! 💕

Jeanine · 26 janvier 2018 à 12 h 15 min

Que de l’Amour….! 💕

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