Plus la dépendance d’un être vis-à-vis d’un autre pour assurer son bien-être et son développement est grande, plus les réponses à ses besoins doivent être rapides et adéquates. C’est particulièrement le cas pour les jeunes enfants dont la santé et le bien-être sont corrélés à leur capacité à susciter une réponse chez les adultes.

La répondance est la qualité de celui qui répond avec sollicitude – cette attention soutenue et affectueuse – à celui qui est en demande ; c’est une qualité particulière de réponse à certains stimulus. Elle est à la fois réceptivité/sensibilité, ouverture, accueil, déploiement d’antennes, veille d’une part – à ne pas confondre avec la “susceptibilité” défensive des “écorchés affectifs” – et réactivité, diligence, hâte, empressement, zèle, au sens noble de ces termes d’autre part – à distinguer des réflexes de résistance et de rejet de celui qui se sent agressé. Elle ne réfère pas seulement à une réaction immédiate mais également à une “bonne” réaction, c’est-à-dire adéquate, adaptée, sur-mesure. La différence, pour subtile qu’elle soit, entre les deux pôles de la réceptivité/sensibilité et de la réactivité est importante à souligner car selon leur état émotionnel, leur fatigue, leur disponibilité, les parents peuvent basculer de l’ouverture, l’accueil, la sollicitude à la fermeture, le rejet, l’indifférence.

Bien-être et résistance au stress

Les très jeunes enfants en général, et les bébés en particulier, ont besoin qu’on réponde à leurs appels sans délai et avec sollicitude. Pour un bébé qui vient à peine de se séparer de l’étreinte indéfectible de la matrice maternelle, quittant un milieu où tous ses besoins étaient immédiatement et continûment comblés, devoir attendre qu’on s’occupe de lui est particulièrement douloureux. Comme il est incapable de satisfaire seul ses besoins, un bébé qui pleure manifeste clairement qu’il a besoin de quelqu’un pour l’apaiser, bien plus que de quelque chose. Il est ainsi complètement dépendant d’humains réceptifs et réactifs. Le simple fait de répondre l’apaise, tout parent en fait l’expérience quand il prend son bébé en pleurs dans ses bras, le soulagement est instantané et il perdurera si la réponse globale est adéquate (prendre dans ses bras pour le mettre au sein ou le changer ou simplement l’étreindre) ; si elle ne l’est pas, les pleurs reprendront, aidant le parent à ajuster, affiner sa réponse.

En fait, tout son développement dépend de la quantité et de la qualité des réponses qu’il aura reçues, notamment dans les premiers mois de sa vie ex utero. Plus les réponses auront été abondantes, soutenues et adéquates, moins il subira de stress. Différer ou “rationner” les soins, les tétées, les câlins, induit un stress (une sécrétion abondante de cortisol) qui a un impact négatif direct sur les constantes biologiques et, partant, l’immunité du bébé, portant ainsi atteinte à sa vitalité. Le système de régulation du stress se construit essentiellement pendant les trois premières années de vie, voire moins selon certains neuro-endocrinologues ; trois années qui détermineront son niveau de tolérance au stress pour toute la vie. S’il reçoit des réponses adéquates à ses demandes, il fabrique davantage de récepteurs à cortisol, ce qui lui permet de réguler peu à peu lui-même son stress. A contrario, s’il pleure longtemps sans être apaisé, il ne développera pas ces récepteurs et sa vulnérabilité au stress va s’accroître, ce qui peut le conduire à adopter des stratégies de protection (sommeil prolongé, par exemple) contre ce qu’il perçoit comme un environnement hostile.

La séparation avec la mère ou toute autre figure d’attachement est la situation la plus stressante qui soit pour un enfant de moins de 3 ans car elle est perçue comme un danger. Le stress induit est inversement proportionnel à l’âge de l’enfant et au degré de répondance dont il aura bénéficié depuis sa naissance. Ainsi l’allaitement, à la demande et dès les premiers instants après la naissance, est-il un comportement particulièrement adéquat pour répondre au besoin de nourriture lactée et affective du bébé, à son besoin de chaleur et d’être tenu et porté, à son besoin d’affection ; à condition bien sûr d’être sensible à la demande, suffisamment attentif pour identifier les signaux précoces de la demande, en d’autres termes, “répondant”. Cette répondance implique une connexion authentique, et pas une connexion à distance par l’intermédiaire des gadgets de la “téléparentalité”, cette parentalité à distance que nous vantent les vendeurs d’autonomie de l’enfant vis-à-vis du parent et donc de “liberté” du parent, surtout de la mère. Il s’agit d’une connexion physique effective, d’une proximité, d’une intimité, d’une immédiateté des corps. Répondre implique de veiller et veiller nécessite une présence soutenue. Pour déployer ses antennes, il n’y a rien de tel que le toucher, le peau à peau ; alors, les moindres mouvements, les moindres signaux sont perçus et peuvent être “répondus” sans délai, quasi instantanément. La mise à distance spatiale (dans une poussette, un lit à barreaux) ou temporelle (différer un soin, une tétée, faire garder par une personne qui ne fait pas partie de la symbiose) déconnecte, délie, peut même finir par désensibiliser, voire rendre indifférent.

Maintenir le continuum

Répondre, c’est ancrer les enfants dans une continuité. Toute non-réponse est une béance, une rupture de la continuité. Il existe un continuum entre l’enfant et ses parents, une homogénéité entre ses appels et leurs réponses ; appels et réponses forment une interaction, un système clé/serrure, et ce n’est que par abstraction qu’on les appréhende séparément. C’est ce continuum que certaines théories éducatives remettent en cause au péril de notre espèce, de notre bonheur1. On ne devrait pas parler de mère d’un côté et de bébé de l’autre mais de la dyade ou de l’écosystème mère/bébé. La mère (ou toute personne qui prend soin assidûment du bébé) sent qu’elle est dans le continuum quand elle éprouve ce sentiment de plénitude qui lui indique que toute chose est à sa place. En répondant à son enfant, elle rétablit son propre continuum de femelle mammifère et c’est un guide bien plus efficace que n’importe quelle théorie. Certains appellent cela l’instinct. D’autres affirment que l’instinct (maternel) n’existe pas. En réalité, ce qui n’existe plus quand il n’y a pas d’instinct, c’est la continuité ; la disparition de l’instinct, c’est la rupture du flux continu de la répondance.

La répondance est une qualité naturelle, biologiquement enracinée, dans la mesure où chaque humain a toutes les dispositions neurologiques et hormonales nécessaires pour répondre avec sollicitude. Mais ces dispositions peuvent être inhibées, par l’éducation notamment, les théories spéculatives. Dans un monde où les parents sont éloignés, par la culture, du continuum de leur espèce (qui est similaire à celui de presque tous les mammifères et notamment de ceux dont les petits naissent immatures), la répondance, qui ne leur vient pas spontanément, peut néanmoins se “travailler”. On peut recouvrer la continuité par un effort, une volonté consciente, par le détour de la rationalité qui permet de comprendre les bases biologiques de l’amour. Parfois, il suffit de se laisser aller à l’intimité du contact en peau à peau, à une “tétée de bienvenue” en salle de naissance, par exemple, et tout devient évident. D’autres fois, c’est plus difficile, mais ça vaut la peine d’essayer et surtout, mieux vaut un peu que pas du tout.

La répondance est moins intense mais le continuum n’est pas pour autant interrompu quand les enfants grandissent. Nos grands enfants ont toujours besoin de notre attention affectueuse. Toute indifférence, tout désintérêt sont vécus comme une rupture du lien. Créer et maintenir un lien tissé de répondance est vital pour les individus de notre espèce. Le malheur des sociétés occidentales est alors sans doute d’être, à la fois, trop grandes et trop “nucléarisées” (dans le modèle de la famille restreinte aux parents voire monoparentale) pour maintenir tout le monde dans le continuum de la répondance.

1 – Le sous-titre de l’ouvrage Le Concept du continuum de Jean Liedloff, “À la recherche du bonheur perdu” ne signifie rien d’autre que “à la recherche du continuum perdu”.

Article publié initialement en 2016 dans le hors série n°10 du magazine Grandir Autrement.


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