Si vous êtes enceinte, ou l’avez été récemment, vous aurez sans doute remarqué qu’il faut aujourd’hui nécessairement se « préparer » à l’accouchement. Car c’est, en tout cas, le postulat actuel, les femmes ont besoin de techniques, de méthodes, pour bien mettre au monde. Que nous soyons dans une démarche classique, avec un accouchement prévu sous péri à l’hôpital, ou bien en recherche d’une expérience intime à domicile, c’est la même chose, il faut se préparer à accoucher.

 

 

Les différentes pratiques sur le marché ont pour principal objet de vous apprendre à bien gérer la douleur des contractions. Gérer, donc être en contrôle de, manager une situation qui, autrement, pourrait totalement vous échapper. Que ce soit avec le souffle et les postures du yoga, ou avec le mental de l’auto-hypnose ou de la sophrologie, ou encore les régimes spéciaux, chacun y va de sa méthode révolutionnaire pour mieux accoucher. Faut-il préciser qu’un marché d’environ 800 000 personnes par an, ça ne laisse personne indifférent !

Or, il se trouve que l’issue d’un accouchement dépend d’un si grand nombre de variables, de tant de subtils ajustements, que prétendre se préparer à tous y faire face me semble passablement illusoire. Je réalise aujourd’hui, après plus d’une dizaine d’années de pratique de l’accompagnement maternel, que, plus les femmes veulent se préparer à gérer leur accouchement, plus celui-ci devient compliqué.

Si beaucoup de facteurs entrent en jeu dans le bon déroulement des différentes phases du travail de l’accouchement, il y en a un qui est primordial, et qui justement est inhibé par toute « méthode » d’accouchement. Cette condition minimum à une naissance normale, c’est la déconnexion du néo-cortex et du cerveau limbique. Tant que ces niveaux cérébraux n’ont pas été déconnectés, il est impossible de plonger dans son cerveau reptilien, et juste laisser son corps faire ce qu’il a à faire, en étant, véritablement, hors d’état de penser.

Au cours du travail, et bien sûr, si la femme n’est pas dérangée par des stimulus extérieurs, elle va petit à petit éteindre le cerveau « supérieur », celui qui connaît son numéro de téléphone, de sécu, celui qui s’assure que tout le monde va bien, que la layette est dans la valise de maternité, que les lumières de la chambre du haut sont bien éteintes avant de partir ! Quand ce premier niveau s’est déconnecté, la conscience descend au niveau limbique, pour entamer la traversée des émotions. C’est là que les peurs anciennes peuvent se réveiller, que les non-dits du couple ou de la lignée familiale peuvent devenir des obstacles, que les légitimes inquiétudes liées au nouveau statut de mère apparaissent dans toute leur complexité. Il se peut que, à ce stade, on ait envie de fuir, de pleurer, d’envoyer paître quiconque s’approche. Déjà, nous commençons à perdre pied avec le monde environnant, et c’est tant mieux.

Quand, enfin, cette étape est franchie, nous atteignons un ultime niveau cérébral, le reptilien. À ce stade, nous n’avons plus conscience de ce qui existe au-delà de notre champ sensoriel, nous sommes vraiment dans une bulle, hors du temps. Il serait alors criminel d’adresser la parole à une femme qui a atteint cet état de conscience, car cela la ferait remonter illico au stade numéro un, et elle devrait repasser par toutes les étapes déjà difficilement franchies.

Cet état psychique particulier dans lequel une femme en travail se trouve, quand les conditions sont favorables, comme l’explique bien Michel Odent, ne peut être atteint par aucune technique. Qu’elles soient mentales, comme l’hypnose, ou physiques, comme le yoga par exemple, toute méthode ne constitue qu’ une « béquille », un bâton magique qui est censé nous protéger de la peur et de l’intensité des sensations physiques que nous traversons dans ces moments uniques. Si une béquille peut aider parfois, elle peut aussi limiter notre progression, et surtout cela peut vite devenir une entrave à notre liberté.

 

Qu’attendre des méthodes de « préparation » ?

Certes, et c’est peut-être là leur principal intérêt, ces nombreux cours et ateliers permettent aux mamans modernes surbookées de prendre du temps pour elles. Elles le font rarement, et ces séances permettent de « rentrer dans la grossesse », d’investir son corps, d’entrer en contact intérieur avec leur bébé. Ce bienfait est réel. J’ai adoré, pour chacune de mes grossesses, nager en toutes eaux. Sans doute cette pratique m’a aidée dans l’allongement de mon souffle, dans la vision que j’avais alors de mon corps habité. Dans l’eau, il était souple et léger, et j’avais l’impression d’entrer plus facilement en contact avec mes bébés. J’ai vécu trois naissances très différentes les unes des autres, et je ne pense pas que le nombre de mes séances aquatiques ait influencé en quoi que ce soit le déroulement de ces accouchements.

Je ne souhaite pas dénigrer telle ou telle technique, simplement, j’ai constaté que, de manière récurrente, les femmes les plus « préparées » sont celles qui ont le plus de difficultés à lâcher prise le moment venu. À se laisser emporter par le mouvement de leur corps, sans plus se raccrocher à rien, à simplement abdiquer devant l’évidence : ce bébé doit sortir ! Quels que soient les efforts à fournir pour y parvenir, quelle que soit la puissance de la vague qui va nous submerger, quelle que soit l’animalité devant laquelle nous nous trouvons sans défense aucune, au bout du compte, un être humain va sortir du corps de sa matrice.

Nous avons toutes nos bagages de peurs, d’espoirs, liés à l’événement naissance, chacune traverse sa propre tempête. Pour certaines, plutôt rares, c’est une traversée à peine mouvementée, pour d’autres, c’est force 10, il y a du gros temps à essuyer, et ça peut durer ce qui semble alors une éternité.

Souvent, après de trop longues heures de résistance, il n’y a d’autre choix que celui d’accepter, d’abdiquer même, et en cela, faire son premier pas de mère. Et ce n’est qu’au moment où arrive l’acceptation de ce qui doit être, que tout disparaît. Plus d’épreuves, plus de doutes, plus de colère contre ce corps désobéissant, ce corps douloureux. La douleur est toujours là, mais elle devient secondaire, le mental est comme sur un autre plan de réalité. J’aime parler d’un départ pour la « planète j’accouche », pour tenter d’expliquer cet état particulier qui se développe au cours du travail, quand rien ne vient perturber le processus normal de la naissance.

Comme tout voyage important, une mise au monde en liberté demande quelques efforts, de la volonté, et implique de laisser derrière soi une partie de celle que l’on était avant le départ. Comme un voyage, elle se prépare aussi, mais pas forcément par l’achat de telle ou telle technique, de tel ou tel livre, ou d’une piscine d’accouchement flambant neuve. Tout cela peut aider, mais ce ne sont que des béquilles, qui, à un moment donné, devront être lâchées pour avancer vraiment, par et pour soi-même. Le lâcher prise ne s’achète pas, c’est un travail personnel, qui demande du temps, qui passe par des prises de conscience, et une certaine capacité à la confiance en soi, en ses choix.

Vouloir s’attacher à une méthode apprise pendant la grossesse, c’est rester connectée à son néo-cortex, et donc s’empêcher le plongeon au tréfonds de son âme, de son corps. Si elles étaient vraiment honnêtes, ces techniques ne devraient promettre rien d’autre qu’un peu de bien-être pour la grossesse, ce qui est déjà fort honorable.

 

Petite revue non exhaustive

La sophrologie

Cette thérapie a ceci d’intéressant qu’elle permet d’aller voir quelles sont les peurs, quels sont les blocages qui pourraient subvenir au moment de la naissance, et de les travailler avant, évitant ainsi de devoir nettoyer les placards émotionnels à un moment où nous avons mieux à faire. Les bons sophrologues sont en cela de vraies aides pour l’accouchement. Les visualisations enregistrées mentalement pendant les séances, avec l’intention d’aider à la détente au moment des contractions, ça fonctionne, plus ou moins bien en début de travail, à condition que la future mère soit dans un environnement totalement sécurisant pour elle. À l’hôpital, elles n’y pensent en général même pas. Et puis il arrive un moment, aux alentours de 6/7 cm de dilatation, où ça disparaît complètement du paysage mental. Si la parturiente n’est pas sous péridurale, elle est emportée par un maelstrom de sensations et d’émotions qui ne lui laissent plus le loisir de partir mentalement dans son paysage sophrologique rassurant. Il n’y a plus que la réalité, bien concrète, dans laquelle se plonger. Si elle est sous péridurale, son attention sera plus certainement portée sur le monitoring, les bips de la machine, les injonctions du personnel, son compagnon qui s’inquiète. À moins d’avoir une forte inclinaison personnelle pour l’introspection ou la méditation, il est assez probable qu’elle restera bien ancrée dans le haut du cerveau.

 

Le yoga

S’il est bien une discipline pour laquelle j’ai une tendresse particulière, c’est celle-ci. J’ai eu la chance de l’approcher à sa source : aux bords du Gange, à Bénarès la bien nommée, longtemps avant que mon corps ne porte la vie. Le yoga, c’est idéal pour déconnecter, décompresser, faire le vide en soi, et accessoirement, accroître sa souplesse et la portée de son souffle. Il se couple souvent à un désir de vie plus saine, plus équilibrée. Tout cela ne peut donc faire que du bien me direz-vous. En théorie oui, mais en pratique, pas nécessairement, car trop souvent, les femmes qui ont appris à maîtriser leur corps grâce au yoga vont avoir plus de mal que les autres à le sentir échapper à tout contrôle quand il sera sous l’impérieuse dictature des hormones indispensables à l’éjection d’un fœtus hors du corps maternel.

J’aimerais que celles qui ont le projet d’un accouchement en pleine conscience, le plus souvent à domicile, mais qui peut aussi s’envisager à l’hôpital, se posent cette simple question ; suis-je prête à abandonner toute maîtrise de mes sphincters, l’espace de quelques heures, le temps d’une mise au monde !

Comme l’explique merveilleusement Ina May Gaskin [2], nos sphincters sont tous reliés. Pour que le col de l’utérus, qui est un sphincter lui aussi, puisse s’ouvrir correctement, tous les autres sphincters doivent être relâchés. Quand la bouche est largement ouverte, et que l’anus l’est aussi, alors le col peut s’ouvrir. Êtes-vous donc vraiment prêtes à déféquer, la bouche ouverte, laissant émettre d’étranges sons, devant quelqu’un qui n’est pas un/e très proche ? Imaginez-vous accroupie sur le sol, les pieds sur un linge ou une alèse jetable, gémissant, et laissant sortir de votre corps ce qui veut en sortir, par quelque orifice que ce soit. Qu’est-ce que cette projection allume en vous ? Elle vous met mal à l’aise, elle vous indiffère, elle vous réjouit ? Car c’est probablement ce qui se passera, à un moment ou un autre du travail de l’accouchement.

 

L’hypnose

De toutes les méthodes que j’ai pu rencontrer avec les femmes que j’ai accompagnées, celle-ci est celle que j’ai vu faire le plus de dégâts, surtout pour des accouchements prévus à domicile. L’objet de cette méthode est d’apprendre à la future mère à entrer dans un état de conscience modifiée, grâce à la répétition de phrases clés qu’elle aura entendues, répétées encore et encore tout au long de la grossesse. Dans les premières séances, l’ancrage de ces phrases est fait par le/la praticienne. Ensuite, ce sera le compagnon, ou l’hypnobirtheuse, qui prendra le relais pour pratiquer ce qui est appelé dans cette pratique des « méditations ».

Il s’agit ici d’un fâcheux glissement de langage. En effet la méditation n’a en aucun cas un attendu de résultat, c’est avant tout un plongeon en soi, en découverte.

Le résultat est qu’en écoutant ces injonctions positives, qui lui sont récitées en continu, la femme reste dans son néo-cortex, elle est, de fait, obligée de penser, son cerveau réagit à ces stimulus, comment pourrait-il faire autrement ? Pas de plongée possible dans le limbique, encore moins dans le reptilien, pas de lâcher-prise réel et complet. Certes, la femme semble calme, détendue, supportant bien les contractions, et pour cause : la dilatation n’avance pas, les sensations restent celles d’un début de travail.

Pour autant l’expérience peut être intéressante, proche de l’extase mystique, mais pas vraiment concluante au niveau physique. Notre corps est ici nié, seul le psychique entre dans sa transe.

 

Fort heureusement, il existe aussi des femmes qui ont vécu de belles expériences d’enfantement, malgré de tels conditionnements. Ce qui est dommage, c’est que tout le bénéfice de cette expérience positive ne reviendra qu’à la méthode, ou pire, son ou sa représentante. Ces femmes ne se diront pas « j’ai vraiment été au top, je me suis complètement lâchée », non, elles diront « grâce au yoga/ hypnose/sophrologie ou autre, ou encore grâce à untel, j’ai vécu un bel accouchement ». Rien de tout cela n’est bien nouveau, depuis l’avènement de l’obstétrique moderne, de nombreux courants se sont succédés, quasiment tous initiés par des hommes, prétendant tous apporter aux femmes une révolution en matière d’accouchement.

Avons-nous vraiment besoin de tout cela ? Ne ratons-nous pas une magnifique occasion ? L’enfantement, s’il est traversé avec nos seules ressources intimes, peut être pour une femme une telle révélation de sa propre puissance, une telle vision de ses dimensions inconnues, des plus animales aux plus spirituelles. Je me demande parfois, si, en maintenant les femmes dans un état de distraction constant, ce ne serait pas ce secret fondamental que notre société veut, plus ou moins consciemment, éviter qu’elles ne découvrent.

 

1 – Frédérique Horowitz est marraine de maternité et autrice, aux éditions Le Hêtre Myriadis, de Fronts de mères (2015), un bouleversant recueil d’histoires relatant différents chemins de femmes, de mères vers la réappropriation de leur corps et de leur autonomie durant leur grossesse et leur accouchement.

2 Ina May Gaskin est une sage-femme américaine de renommée internationale. Désignée comme la mère de la sage-femmerie authentique et comme l’une des personnalités les plus importantes pour son approche de la naissance, qui a démontré son excellence en matière de santé et de bien-être pour la mère et l’enfant, elle a reçu fin 2011 à Stockholm le prestigieux prix Nobel alternatif (The Right Livelihood Award). Ina May Gaskin a également reçu, en 2009, le titre de docteur honoris causa de la faculté de médecine de Thames Valley (Londres). Ses ouvrages font partie de l’enseignement de nombreuses écoles de sages-femmes dans le monde.

Crédit photo : Jany Juan

 


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